On le sait notamment grâce aux découvertes réalisées à Goyet (province de Namur): les Néandertaliens pouvaient se livrer au cannibalisme. Des traces sur des ossements humains retrouvés dans une des cavernes namuroises occupées il y a plus de 40.000 ans en attestent. Les ossements portent des traces de dépeçage et de boucherie (coupures, cassures et impacts de percussion), de désarticulation et d’extraction de la moelle.
Mais pourquoi les Néandertaliens ont-ils commencé à manger leurs semblables? La réponse à cette question pourrait bien venir d’une autre grotte occupée jadis par ces lointains cousins de l’Homme actuel. L’étude de restes néandertaliens provenant de la Baume Moula-Guercy, en Ardèche (France), montrerait que c’est à la suite d’un épisode climatique important que le cannibalisme aurait été initié.
Deux chercheurs de l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique étaient impliqués dans les découvertes réalisées sur les ossements de Goyet, en 2016. Cette fois, ce sont deux chercheurs français, du Laboratoire de géologie de Lyon et du laboratoire Cultures et environnements préhistoire, antiquité, moyen âge (Université Côte d’Azur) qui viennent de montrer l’impact du puissant et brutal réchauffement climatique de la dernière période interglaciaire à la fois sur les paléoenvironnements et sur les comportements des populations de chasseurs-cueilleurs néandertaliens en Europe.
Une forêt très peu nourricière
Leurs observations prouvent que la mise en place d’une grande forêt de feuillus a engendré un effondrement de la population européenne ainsi qu’un épisode de cannibalisme dans la grotte ardéchoise, située en bord du Rhône.
Ils ont observé des stries de découpe sur un os pariétal fragmenté d’adolescent néandertalien découvert dans la grotte de la Baume Moula-Guercy.
Les fouilles réalisées dans cette grotte depuis 1992 ont permis la mise au jour d’un très abondant matériel. L’étude des grands mammifères et des rongeurs permet de proposer une hypothèse sur la chronologie de la mise en place des dépôts sédimentaires. Il est possible de distinguer trois phases climatiques majeures. L’accent est placé sur la couche XV qui a livré une riche série de restes humains néandertaliens correspondant à six individus cannibalisés.
« Nous savons par l’étude des glaces polaires, des sédiments marins et des tourbières que la dernière période interglaciaire (128.000 à 114.000 ans) a été la plus chaude des derniers 400 000 ans. Les températures étaient supérieures à celles que nous connaissons aujourd’hui et le niveau de la mer plus élevé de 6 à 9 mètres », indiquent les chercheurs.
Reconfiguration rapide des écosystèmes
« Du fait de l’extrême rareté des sites archéologiques appartenant à cette période, l’effet de cet événement majeur sur les paléoenvironnements et les défis auxquels les populations de chasseurs-cueilleurs néandertaliens ont été confrontées, sont peu connus ».
Grâce à une couche archéologique exceptionnelle, sans équivalent sur le continent européen conservée sans perturbation pendant plus de 120 000 ans dans la Baume Moula-Guercy, à Soyons (la fameuse couche XV), les deux chercheurs français montrent que le réchauffement climatique rapide a entraîné une reconfiguration générale des écosystèmes et une redistribution de toutes les espèces vivantes du continent européen. Cette reconfiguration a concerné autant les plantes que les arbres, les reptiles ou encore les grands mammifères. Elle résulte de la mise en place d’une épaisse forêt tempérée en remplacement de la steppe à graminées précédente.
« Les mammifères caractéristiques des biotopes froids ont été remplacés par des espèces tempérées qui avaient trouvé refuge dans les péninsules méditerranéennes au cours de la phase glaciaire antérieure. Des reptiles méditerranéens, dont la Tortue d’Hermann, absents de cette région ardéchoise de nos jours, ont occupé les espaces découverts, démontrant ainsi que le climat de cette région était plus chaud et plus sec que de nos jours », indique le CNRS, qui relaie cette information.
« Contrairement à l’idée généralement admise, et comme de nombreux auteurs l’ont souligné, la forêt tempérée est un milieu de vie hostile pour les chasseurs-cueilleurs de nos jours comme dans le passé », précise encore le CNRS.
Endocannibalisme
« La biomasse de grands mammifères, qui constituaient les proies privilégiées des Néandertaliens y est nettement plus réduite que dans les steppes froides. L’extension des milieux arborés a provoqué un effondrement drastique des populations néandertaliennes, celles-ci ne se maintenant que dans quelques rares régions européennes, dont le sud-est de la France ».
Alors que le cannibalisme des Néandertaliens n’est attesté que dans 4 sites seulement durant les derniers 100 000 ans de leur existence sur le continent européen, deux sont datés de la dernière période interglaciaire, malgré sa faible durée. Le mieux documenté est celui de la Baume Moula-Guercy. Les stries au silex observées sur les os, les points d’impact pour casser les os et les crânes attestent que les occupants de la grotte ont consommé six de leurs congénères…