Savantes symbioses entre un champignon et une algue, les lichens parsèment les troncs de taches colorées. Les espèces présentes et leur abondance donnent des indications sur la qualité de l’air. Deux chercheurs de l’UCLouvain font appel aux citoyens de toute la Wallonie pour recenser les lichens dans leur environnement. Et ainsi enrichir la base de données du projet Lichens GO!, un programme de sciences participatives visant à cartographier la qualité de l’air avec une bonne résolution spatiale.
L’un nécessaire à l’autre
Contrairement à une idée reçue, les lichens ne sont pas des végétaux. Mais résultent de la symbiose, soit une association à bénéfice réciproque, entre un champignon ascomycète (lequel donne son nom à l’espèce de lichen) et une algue unicellulaire ou une cyanobactérie.
« Dans cette association, le champignon constitue la majeure partie du corps du lichen, aussi appelé le thalle. Il assure la nutrition en eau et en sels minéraux captés depuis l’atmosphère. Il fournit également des éléments qu’il va fabriquer par lui-même comme des vitamines et des antibiotiques. Par ailleurs, étant donné qu’il héberge l’algue dans ses tissus, il la protège de divers stress, comme la prédation, les rayons du soleil. En contrepartie, grâce à la photosynthèse, l’algue ou la cyanobactérie produit des sucres fournissant ainsi l’énergie nécessaire pour la croissance du lichen », explique Hugo Counoy, bioingénieur réalisant un doctorant sous la houlette de Yannick Agnan, professeur en sciences du sol à l’UCLouvain. Sa thèse vise à développer des indicateurs qui aideront à améliorer l’interprétation des données de présence et d’abondance des lichens.
Bioindicateurs de la qualité de l’air
A la différence des plantes, les lichens ne possèdent pas de racine. Ils prélèvent dès lors la totalité des nutriments nécessaires à leur survie dans l’air ambiant. Cette particularité les rend très sensibles à la pollution atmosphérique. Les scientifiques les considèrent donc comme des bioindicateurs de choix de la pollution atmosphérique.
« Tous les lichens ne sont pas affectés de la même manière par la pollution : un même polluant peut être néfaste pour une espèce et bénéfique pour une autre. En étudiant la diversité et l’abondance des lichens qui se développent sur les arbres, il est possible d’évaluer la qualité de l’air sans recourir à des capteurs chimiques ou physiques », poursuit Hugo Counoy. « Du fait de leur croissance lente, les lichens intègrent la pollution sur plusieurs années, faisant d’eux de bons témoins de la qualité de l’air. »
Les effets de la pollution au dioxyde de souffre (SO2) sur la distribution des lichens sont bien documentés suite à l’épisode des pluies acides des années 1970. La pollution contemporaine est davantage dominée par des composés eutrophisants : particules fines (PM), ammoniac (NH3), dioxyde d’azote (NO2) et ozone troposphérique (O3). Ces polluants ont été moins étudiés que le SO2. « Le but de ma thèse est de développer de nouveaux indicateurs et de réévaluer la sensibilité des espèces de lichens à ces polluants particuliers. »
Un protocole à réaliser chez soi ou à l’école
Pour apporter leur pierre à l’édifice de la connaissance, les citoyens sont invités à identifier, dans leur entourage, 3 arbres distants de maximum 50 m, et de minimum 50 cm de circonférence de tronc à 1 m de haut. Attention, mieux vaut exclure les résineux, les bouleaux et les platanes, car trop acides ou dotés d’un renouvellement d’écorce trop rapide, ils sont défavorables à l’implantation des lichens.
Sur chaque arbre du trio, à un mètre du sol, à chacun des 4 points cardinaux, est maintenue à l’aide d’une cordelette, une grille bricolée de 10 cm sur 50 cm, contenant 5 carrés de 10 cm de côté. Dans chacun d’entre eux, il s’agit d’identifier les espèces de lichens présentes.
Vous n’êtes pas un crac en la matière ? Cela tombe bien, une clé de détermination simplifiée (en versions papier et numérique), concernant les espèces les plus couramment rencontrées dans notre contrée, a été conçue par les scientifiques.
Il s’agit tout d’abord d’observer la morphologie du lichen : est-il crustacé (croûte indétachable du support), foliacé (doté de petits lobes détachés du substrat) ou fruticuleux (attaché au substrat en un seul point) ? Cette étape relativement facile passée, il faut identifier la couleur du lichen, puis la présence ou l’absence d’apothécies (des coupelles dressées à vocation de reproduction sexuée).
Pour la dernière étape, mieux vaut se munir d’une loupe. En grossissant le lichen, il s’agit d’observer la présence ou l’absence de soralies (organes de reproduction asexuée prenant un aspect granuleux (amas de poudre)) ou d’isidies (organes de reproduction asexuée prenant la forme de petits boutons ou de cylindres).
Relevés et cartographie
Ensuite, il conviendra d’encoder ses données sur la plateforme Lichens Go!. Grâce à elles, les chercheurs pourront calculer des indices de la qualité de l’air pour chaque site échantillonné. Ces différents indices permettront la réalisation d’une carte de la qualité de l’air de votre environnement proche. Plus il y aura de données à disposition des chercheurs, plus cette carte sera précise. L’analyse et la publication publique des résultats se feront au fur et à mesure.
Sur un site donné, faut-il faire le relevé tous les mois ? Toutes les années ? Une seule fois suffit. En effet, la plupart des espèces de lichens vivent plusieurs centaines d’années, et croissent très lentement, à raison de 0,01 à 30 mm par an. Tout changement dans leur morphologie n’est détectable que sur une échelle de temps longue, voire très longue. Comme c’est le cas pour Rhizocarpon geographicum, un lichen d’altitude, dont on a découvert des individus âgés de 8000 ans !