La séquestration du carbone ne s’opère pas seulement dans l’océan profond

20 mars 2024
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

A l’instar des sols et des forêts, les mers et océans de la planète sont capables de capturer le CO2 présent dans l’atmosphère. Ils représentent ainsi des puits de carbone essentiels à la vie sur Terre. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, soutenue par le FNRS et réalisée en cotutelle entre l’Université de Liège et Sorbonne Université (Paris), Florian Ricour a calculé la quantité de carbone stockée par les océans – plus spécifiquement par la pompe à carbone biologique – à l’échelle d’un siècle. Ses résultats indiquent qu’elle serait jusqu’à six fois plus élevée qu’estimée jusqu’ici.

Mécanismes physique et biologique en tandem

Pour bien comprendre, rappelons que l’océan capte et stocke le CO2 atmosphérique grâce à deux grands mécanismes : l’un physique et l’autre biologique. Des processus connus sous le nom de « pompes à carbone ». « La pompe à carbone physique repose sur la dissolution naturelle du CO2 atmosphérique dans l’eau. Cette pompe est favorisée dans les régions froides. L’eau y étant plus dense (et donc plus lourde), le CO2 dissous sera transporté vers les fonds marins par effet de densité », précise le Dr Ricour, aujourd’hui postdoctorant à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique.

La pompe à carbone biologique, de son côté, s’appuie essentiellement sur le phytoplancton. Ces microalgues, retrouvées à la surface des océans, sont capables, comme les plantes, de pratiquer la photosynthèse. Aussi, pour fabriquer leur nourriture (du glucose), ces algues vont capter de l’énergie solaire, du CO2, ainsi que divers sels minéraux dissous dans l’eau. Lors du processus, de l’oxygène et de la matière organique (riche en carbone) sont générés.

Quand ce phytoplancton et cette matière organique ne finissent pas dans l’estomac d’un animal, ils coulent au fond de l’océan, emportant une partie du CO2 qu’ils renferment. Ce qui conduit à la séquestration du carbone dans les profondeurs pour une très longue période.

Représentation conceptuelle des trois mécanismes de la pompe biologique © Thomas Boniface

Deux « sous-pompes » biologiques à considérer

Deux autres mécanismes de la pompe à carbone biologique ont été récemment épinglés par la recherche : la migration verticale (journalière ou saisonnière) d’organismes et la circulation physique.

« La matière organique générée par le phytoplancton dans les 100 premiers mètres de la colonne d’eau sert de nourriture à certains organismes, comme le zooplancton. Ceux-ci y migrent chaque nuit pour s’en nourrir, avant de retourner se cacher plus bas, à l’abri des prédateurs. Par leur respiration et leur déjection, ces organismes injecteront, à une profondeur entre 100 et 1000 mètres, une partie du carbone ingéré en surface, contribuant à l’exportation du carbone en profondeur », explique l’océanographe. La circulation physique, de son côté, participe à cette exportation du carbone grâce aux mouvements des masses d’eau.

En tenant compte de ces trois processus de la pompe biologique, le Dr Ricour s’est donc intéressé aux flux de carbone séquestrés, à savoir la quantité de carbone stockée par an, par tous les océans de la planète.

Du carbone séquestré à tous les étages

Selon ses résultats, les flux de carbone séquestrés pendant au moins 100 ans par la pompe biologique seraient compris entre 900 millions et 2,6 milliards de tonnes/an. Soit beaucoup plus que ce qu’on imaginait. La raison ? Cette séquestration du carbone s’opère dans toute la colonne d’eau, et pas uniquement dans l’océan profond (situé à plus de 1000 mètres sous la surface), comme il est généralement admis.

« Une étude précédente avait déjà dressé ce constat. Pour autant, on a quand même été surpris par nos chiffres. On a ainsi découvert que ces flux de carbone séquestrés sur 100 ans sont 2 à 3 plus élevés que lorsqu’on se base sur une profondeur de séquestration fixée à 1000 mètres. Et 3 à 6 fois plus importants quand la profondeur de séquestration est fixée à 2000 mètres. Certains résultats, par exemple, montrent qu’à 500 mètres de profondeur, 50 % du carbone est déjà séquestré dans certaines régions océaniques, comme dans le nord de l’océan Indien, ou le Pacifique oriental.»

Bref, la pompe biologique de l’océan est capable de stocker davantage de CO2 que l’on ne pensait. Pour le chercheur, on le doit notamment aux processus de migration verticale et de circulation physique qui ont lieu avant 1000 mètres, et négligés jusqu’ici dans les calculs. « Leur apport n’est pourtant pas négligeable puisqu’on a déterminé qu’ils représentent entre 21 et 34 % du flux de séquestration totale de la pompe biologique. »

Une bonne nouvelle pour la planète ?

Cette découverte rebat donc les cartes des futures études sur la pompe à carbone biologique. Soulignons toutefois que ces résultats ne signifient pas que les océans sont plus efficaces qu’hier pour capter le CO2 produit par l’humain. Celui-ci étant absorbé uniquement grâce à la pompe physique.

Limiter les émissions de gaz à effet de serre, comme le CO2, est plus que nécessaire, quand on sait que ces gaz tendent à réchauffer les eaux et à impacter la circulation océanique. Mettant ainsi en péril l’efficacité des différentes pompes à carbone, et donc la viabilité de la Terre.

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