« Bonjour, comment allez-vous? » Cette question, la sociologue Céline Mahieu et la professeure Isabelle Godin de l’École de santé publique de l’Université libre de Bruxelles (ULB) l’ont posée à des dizaines de « petits » commerçants à Bruxelles. Les réponses recueillies sont claires. Les patrons et les employés de ces commerces de taille réduite n’affichent pas une santé éblouissante! « Tant en ce qui concerne leur santé physique que leur santé mentale », indique Céline Mahieu.
Cette sociologue du travail s’est intéressée pendant trois ans à la santé et au bien-être des commerçants bruxellois dans le cadre d’une étude financée par Innoviris, l’Institut bruxellois pour la recherche et l’innovation.
Les scientifiques ont ainsi observé que 60% des dirigeants d’entreprise travaillant seul à Bruxelles estimaient que leur travail avait un impact négatif sur leur santé. Leur travail les amène à souffrir d’une série de maux, à commencer par le stress et les problèmes de dos. Et bien entendu, cela peut avoir un impact sur la survie de leur entreprise et donc sur leur emploi.
Les principaux résultats de l’enquête tiennent en trois points.
- 1. « Les dirigeants de petits commerces qui exercent en solo présentent des indicateurs de santé moins bons que ceux de dirigeants qui travaillent en équipe », commente la sociologue. Outre la charge de travail importante, c’est aussi la solitude qui est difficile à porter.
- 2. Pour les employés, la problématique du travail au noir couplé à la proximité relationnelle avec les patrons est source de problèmes. Cela peut générer le meilleur comme le pire. Une plus grande flexibilité peut être bénéfique pour le travailleur comme pour l’employeur. Mais dans la majorité des cas, cela débouche sur des situations difficiles à vivre. Tel le cas de ces employés à temps partiel dans l’Horeca qui prestent en réalité un horaire complet.
- 3. La structuration collective est difficile à concrétiser dans ce secteur. « Nous parlons ici des réseaux, des associations de quartier ou des associations de commerçants », précise Céline Mahieu. « Elles peinent à se structurer, à mobiliser collectivement les commerçants. Alors que pour les échevins concernés par exemple, ces associations sont des interlocuteurs privilégiés et les commerçants auraient donc intérêt à y adhérer ».
Une question de « temporalités »
En ce qui concerne ce troisième constat, l’explication est à rechercher dans les « temporalités » des commerçants. « Certes les présidents d’associations sont très motivés », reprend la scientifique de l’ULB. « Outre le fait que bien souvent ils sont livrés à eux-mêmes, ils doivent aussi composer avec les horaires et les temporalités de leurs membres. Ce qui constitue un frein à leur mobilisation ».
« Chez les commerçants, c’est le rapport à l’immédiateté qui prédomine. Quand ils sont face à leurs clients, ils doivent répondre immédiatement à leurs besoins. L’action collective par contre se situe dans une autre dimension temporelle », explique Céline Mahieu. “Cela prend plus de temps et cela ne correspond pas aux horaires des commerçants ni à leur rapport habituel au temps”.
Un webdocumentaire pour diffuser largement les résultats
C’est pour cette raison que les résultats de leur enquête à vocation exploratoire a pris la forme d’un webdocumentaire.
“Nous voulions toucher le plus largement possible les différents publics concernés par notre enquête. Traditionnellement, ce genre d’étude se termine par un colloque. Il a bien eu lieu fin mars, mais n’a drainé, pour l’essentiel que des interlocuteurs institutionnels. Très peu de commerçants étaient présents. C’est pour les informer des résultats que nous avons réalisé le webdocumentaire, sans limite temporelle d’accessibilité, idéal donc pour les commerçants”.
Des pistes d’actions esquissées par les acteurs de terrain
La suite de cette enquête prend plusieurs directions. En collaboration avec l’ASBL « Question Santé », l’objectif est désormais de réfléchir aux changements concrets qui pourraient être envisagés pour améliorer les conditions de travail et d’emploi des petits commerçants. L’étude propose d’ailleurs quelques pistes, évoquées par les acteurs rencontrés en cours d’enquête, notamment:
- – Renforcer le collectif et l’humain
- – Lutter contre le travail au noir
- – Aider à mieux gérer les taxes et les dépenses
Par ailleurs, l’étude en question pourrait également servir de point de départ à une nouvelle enquête. « Elle serait centrée cette fois sur les métiers de la construction, en collaboration avec l’Université de Liège », conclut le Dr Mahieu.
Un emploi sur cinq à Bruxelles
L’étude du Dr Céline Mahieu a porté sur des petites entreprises (moins de 20 personnes) en Région bruxelloise et sur l’impact des conditions de travail et d’emploi sur la santé et le bien-être. Ces thématiques sont généralement bien étudiées au sein des grandes entreprises et des grandes administrations, mais moins connues dans les petites structures. Or, à Bruxelles, 1 emploi sur 5 est occupé par une personne d’une petite entreprise et environ 87% des entreprises sont des organisations de moins de 20 travailleurs (chiffres ONSS).
Les secteurs étudiés à Bruxelles étaient ceux dans lesquels la relation au client occupe une place centrale. Donc essentiellement des commerces de détail, des salons de coiffure, l’Horeca…