Alors que le méthane contribue à un tiers du réchauffement climatique, les systèmes aquatiques, d’eau douce et marins, sont responsables de la moitié (entre 41 % et 53 % ) des émissions mondiales de ce gaz à effet de serre (GES). C’est ce que révèle une étude de grande ampleur menée par une équipe internationale de chercheurs. Parmi eux, Alberto Borges, directeur FNRS du laboratoire d’Océanographie Chimique au sein de l’Unité de Recherche FOCUS de l’ULiège.
Les écosystèmes aquatiques les plus émetteurs de méthane (CH4) sont de loin les zones humides, comme les marais. Viennent ensuite les lacs et rivières, puis les systèmes marins : d’abord les estuaires, ensuite le plateau continental, et enfin l’océan ouvert et profond. « Même si les océans représentent 70 % de la surface de la planète, leurs émissions de méthane ont un impact relativement modeste dans le bilan », constate l’océanographe. Il est à souligner que les écosystèmes aquatiques pollués (notamment par les engrais et autres matières organiques) émettent davantage de CH4 que les écosystèmes aquatiques sains, non-impactés ou peu impactés par les activités anthropiques.
Les ions sulfates, filtres océaniques
Les écosystèmes d’eau douce libèrent naturellement plus de méthane que les écosystèmes côtiers et océaniques. Pourquoi ? La raison est double : un apport en matière organique plus important et une plus faible concentration en sels.
« Les écosystèmes d’eau douce sont au contact d’environnements terrestres, tels que les forêts et prairies, qui leur apportent énormément de matière organique, bien plus que dans les écosystèmes marins. Cette matière organique est dégradée au sein de leur sédiment via, notamment, un processus de fermentation, lequel produit du méthane », explique le Professeur Borges.
Autre différence notable entre les deux milieux, la concentration en sels dissous : faible en eau douce, forte en eau de mer. Une large partie du « méthane produit dans les sédiments profonds océaniques y est dégradé par des bactéries anaérobies selon un processus de sulfato-réduction : les ions sulfates, très abondants en milieu marin, oxydent la matière organique, dont le méthane fait partie. »
Il y a donc une espèce de filtre microbien dans le sédiment marin qui modifie la formule chimique du méthane (CH4 devient HCO3-) et l’empêche de diffuser vers la colonne d’eau et la surface.
Un climat plus chaud rime avec davantage d’émissions de méthane
Les recherches précédentes d’Alberto Borges et de son équipe l’attestent : les rivières des régions tempérées ont tendance à émettre beaucoup moins de méthane vers l’atmosphère que les rivières tropicales, plus riches en matière organique et exposées à davantage de chaleur.
Les processus microbiens de production de méthane sont intimement liés à la température. Leur optimal de croissance tourne autour de 40°C. Si elle est rarement atteinte sous les Tropiques, la température qui y règne est toutefois très nettement supérieure à celle de nos contrées. C’est une des raisons qui expliquent que les concentrations en méthane émises par la Meuse sont nettement moindres que celles émises par le fleuve Congo. Une autre raison est la présence, dans les eaux mosanes, d’un mollusque bivalve asiatique invasif, qui filtre efficacement tout ce qui est en suspension dans l’eau. Et nettoie ainsi la Meuse de ses excès de matières organiques. A noter toutefois que l’action du mollusque ne suffit pas, le fleuve mosan demeure eutrophisé.
Modifier les activités humaines pour sortir du cercle vicieux
Sur base des informations disponibles, l’étude conclut que les émissions aquatiques de CH4 augmenteront à l’avenir en raison du réchauffement du climat et de la croissance démographique exponentielle, laquelle se traduira par davantage d’activités humaines et d’eutrophisation. Comment sortir du cercle vicieux ?
« L’atmosphère est le principal puits de méthane – celui-ci y est oxydé par des éléments chimiques qui le transforment en CO2 -. On ne peut rien faire pour activer davantage de puits de méthane. Par contre, on peut diminuer les émissions en modifiant les comportements humains. Par exemple, en adoptant des techniques agricoles permettant de diminuer le CH4 émis par les rizières. C’est un point majeur, car à l’échelle mondiale, la riziculture libère 36 millions de tonnes de méthane par an, soit plus que toutes les zones humides côtières, le plateau continental et l’océan ouvert réunis », pointe le Pr Borges.
Restaurer les habitats des marais salés et des mangroves permettrait aussi de faire diminuer production de ce gaz à effet de serre. En effet, une grande partie des mangroves a été détruite pour être convertie en activités d’aquaculture (notamment de crevettes) lesquelles sont des sources majeures de méthane. L’étude révèle que les flux d’émissions des fermes aquacoles côtières sont 7 à 430 fois plus élevés que ceux des habitats côtiers tels que les forêts de mangroves, les marais salants ou les herbiers marins.
Consommer moins de viande, et en tout cas bien moins de bœuf, permettrait également de faire chuter les émissions mondiales de méthane. L’élevage, essentiellement bovin, en produit pas moins de 101 millions de tonnes par an.
Des efforts aux effets positifs rapidement visibles
« On peut se concentrer sur toutes les activités qui génèrent du méthane, comme les décharges (responsables, avec les eaux usées, de 63 millions de tonnes de CH4 émis par an dans l’atmosphère). Produire moins de déchets contribue directement à produire moins de méthane. Les choix et actions individuels pour faire chuter les émissions de méthane sont légion » conclut le Pr Borges.
Et les effets positifs de ces efforts seraient plus vite visibles que les choix politiques visant à diminuer les rejets de CO2. En effet, alors que la demi-vie du CO2 est d’une centaine d’années (autrement dit, si on stoppe aujourd’hui tous les rejets de CO2, il en restera encore la moitié dans l’atmosphère dans 100 ans), elle n’est que de 10 ans pour le méthane !