RÉSISTER À LA DICTATURE DE L’URGENCE POUR RÉFLÉCHIR SUR NOTRE QUOTIDIEN

20 juin 2018
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“Et vous, qu’en pensez vous ?
Philosophie vagabonde sur l’humeur du monde” par
Pascale Seys. Editions Racine – 19,95 euros

«La philosophie sauve du désespoir, de l’ignorance, de la bêtise et de la violence», nous assure Pascale Seys, professeure de philosophie, d’esthétique et de théorie des médias. «Ce n’est pas pour rien que les Anciens comparaient l’activité de penser à une médecine pour tous.»

L’enseignante au Conservatoire royal et à l’École supérieure des arts Saint-Luc à Bruxelles, à la Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme de l’Université Catholique de Louvain (UCL), revisite notre quotidien dans sa «Philosophie vagabonde sur l’humeur du monde»  aux éditions Racine. Les sujets abordés ont été diffusés à la RTBF dans La Matinale de Musiq’3. Ils sont éthiques, esthétiques, sociologiques. Ils donnent à réfléchir.

Notre temps est le plus dangereux pour la planète

La docteure en philosophie et lettres évoque l’article publié par Stephen Hawking dans The Guardian en 2016. Le célèbre astrophysicien britannique, décédé le 14 mars dernier, écrivait que notre temps était de loin, depuis le début de l’univers, le plus dangereux pour la planète et pour le développement de l’humanité. Il envisageait que nous coloniserions d’autres planètes. Mais en attendant, selon lui, il n’y en a qu’une dont il nous faut impérativement prendre soin. Notre Terre.

Pascale Seys met en évidence une réflexion du brillant vulgarisateur scientifique: «Pour vivre ensemble sur cette Terre, il faut abattre les murs et non les construire. Abattre les murs à l’intérieur et en dehors des nations. Il faut aussi, rappelle-t-il, développer des projets. Ériger des institutions qui permettent de partager de manière équitable ce que la Terre offre comme ressources.»

Déclarer la mort à la mort

Sous la direction du microbiologiste Peter Noble, des chercheurs de l’University of Washington ont remarqué que les gènes de souris et de poissons-zèbres morts ne s’éteignaient pas tous progressivement. La plupart de ces gènes augmentaient leur activité dans les 24 premières heures. Certains gènes des poissons étaient toujours actifs au bout de 4 jours. On pourrait créer des gènes qui allongeraient la vie?

«Nouvelle religion 3.0, la préoccupation d’une vie prolongée occupe le terrain de la recherche, largement financée par Google à l’Université de la Singularité dans la Silicon Valley», relève la philosophe. «Le projet est soutenu par le jeune milliardaire et philosophe Peter Thiel, par ailleurs patron de PayPal. Le programme du transhumanisme est de taille. Il s’agit de lutter contre le vieillissement et contre les maladies pour prolonger la vie. Pour les esprits les plus audacieux, il s’agit de déclarer la mort à la mort elle-même.»

«Si la recherche sur les gènes zombies paraît inoffensive lorsqu’il s’agit de la souris ou du poisson-zèbre, il y a comme une ombre portée lorsqu’il s’agit de fabriquer un homme qui ne meurt plus, à l’aide de machines humaines. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’inquiétude de Stephen Hawking.»

L’auteur du bestseller «Brève histoire du temps», prolongé par «Une belle histoire du temps», disait que: «Réussir à créer une intelligence artificielle forte serait un grand événement dans l’histoire de l’homme. Mais ce pourrait aussi être le dernier.»

Sauver le piéton?

Chaque avancée scientifique, chaque découverte technologique s’accompagne de questions morales. Le débat a rebondi avec la voiture autopilotée. Quel choix faire en cas d’accident imminent? Épargner le piéton ou le conducteur humain qui sieste, regarde un film?

«Le problème de la technique, lorsque celle-ci met en jeu des programmes d’intelligence artificielle, c’est que les machines sont incapables de faire des choix que nous appelons moraux», souligne Pascale Seys. «Nous voici confrontés à ce que l’on appelle un dilemme éthique. Un dilemme du même ordre que celui qui consiste à savoir si, en ayant une seule chance, on sauve le frère ou la sœur.»

«Des chercheurs ont posé la question à un panel de 2.000 Américains en leur demandant de choisir, dans le cas où la voiture sans pilote ne peut éviter une catastrophe. Les chiffres de cette étude révèlent que 75% des sondés pensent que le véhicule autonome devrait, dans un cas extrême, épargner le piéton.»

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