Dominique Jullien, conservatrice de la réserve Aux Roches présentant deux stars de la réserve : l'hippocrépide en ombelle et l'argus bleu nacré © Laetitia Theunis

Quand la nature reprend ses droits

20 juin 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 6 minutes

À quelques kilomètres en amont de Liège, en bord de Meuse, la réserve naturelle Aux roches se niche dans un paysage fortement marqué par l’urbanisation et l’industrie lourde. Le site, né de l’ancienne exploitation de calcaire, a peu à peu été reconquis par une flore étonnamment méridionale. Grand de 27 hectares, soit l’équivalent de 58 terrains de football, il s’intègre dans le réseau de quelque 6000 hectares de réserves naturelles (le plus haut niveau de protection environnementale en Belgique) gérées par Natagora. Lors de l’événement “Réserves naturelles portes ouvertes“, une visite a été organisée visant à éveiller la curiosité des participants, et à faire naître en eux l’envie de protéger l’environnement.

Un village très « chaux »

Le village de Chokier, situé au pied de la réserve, entretient un lien ancien avec l’exploitation du calcaire, remontant à l’époque romaine. Aux alentours de 1830, on y dénombrait cinq fours à chaux, dont l’un à l’entrée de la réserve est invisible car recouvert de lierre grimpant.

Le site Aux Roches regroupe trois anciennes carrières de calcaire. La plus récente, exploitée jusqu’en 1950, se distingue par ses impressionnantes falaises rocheuses qui donnent au paysage une allure spectaculaire.

Pendant trente ans, de 1950 à 1980, la zone a servi de décharge à ciel ouvert, accueillant aussi bien des ordures ménagères que des déchets issus des usines sidérurgiques voisines. En 1990, les autorités locales et régionales prennent la décision de recouvrir le site de terre et d’y aménager des sentiers pour la promenade. La réserve naturelle voit le jour en 1996 et obtient une reconnaissance officielle de la Région wallonne en 2004.

Sous nos pieds, difficile d’imaginer des tonnes de déchets ménagers et sidérurgiques ensevelis! © Laetitia Theunis

Protéger un milieu remarquable

Laitue vivace (Lactuca perennis ), grémil ou herbe aux perles (Lithospermum officinale), hippocrépide en ombelles (Hippocrepis comosa), hélianthème des Apennins (Helianthemum apenninum ), Cerisier de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb)… « L’intérêt botanique du site est remarquable : des espèces spécifiques s’épanouissent sur ce terrain particulier. Le milieu accueille notamment des plantes xérophiles (adaptées à la sécheresse), calciphiles (préférant les sols calcaires et basiques), héliophiles (amatrices de lumière) et thermophiles (qui prospèrent dans la chaleur) », explique Dominique Jullien, conservatrice de la réserve naturelle Aux Roches.

Celle-ci est constituée d’une pelouse calcaire, un biotope rare. Si l’on en retrouve plus au sud, en France, il n’y en a par contre aucun au-delà de Flémalle vers le nord. La réserve naturelle Aux Roches constitue sa limite septentrionale d’aire de répartition.

Trucs et astuces pour favoriser les trames vertes et bleues au jardin. C’est-à-dire des réseaux de continuités écologiques terrestres et aquatiques © Laetitia Theunis

« Une réserve naturelle a pour vocation de protéger des milieux naturels remarquables ainsi que des espèces menacées. Cela implique une gestion adaptée. Jusqu’en 2024, ce site bénéficiait d’un écopâturage, mais cette méthode s’est révélée difficile à maintenir : il fallait s’assurer régulièrement que les moutons disposent d’eau en suffisance, puis les déplacer vers un autre site une fois le pâturage terminé. À ces contraintes logistiques, se sont ajoutés des problèmes d’incivilité, notamment des promeneurs laissant leurs chiens divaguer sans laisse — une pratique pourtant interdite en réserve naturelle. Certains moutons ont été blessés, d’autres stressés, ce qui a conduit les éleveurs à renoncer à leur activité. »

Depuis lors, des ouvriers de l’association environnementale fauchent les hautes herbes et les ronces dès le début de l’automne. «  C’est ainsi qu’entre octobre et février, nous organisons chaque mois un chantier bénévole d’une matinée. Les participants ratissent les herbes coupées, les ramassent à la fourche et les déposent en andains (en tas) en bordure du site. Cette intervention vise à éviter l’enrichissement du sol afin de préserver les pelouses calcaires pauvres, essentielles à la survie des espèces spécifiques qu’elles abritent. »

Voici la taille approximative des hiboux grand-duc nichant dans la réserve Aux Roches ! © Laetitia Theunis
Fiche explicative sur le hibou grand-duc © Laetitia Theunis
Fiche explicative sur le hibou grand-duc © Laetitia Theunis

Des billes oranges dans la nuit

La richesse du site n’est pas que botanique. Un couple de hiboux grand-duc (Bubo bubo), le plus grand rapace nocturne du monde — impressionnant avec ses 75 cm de hauteur —, s’est, en effet, installé dans les falaises de la réserve. La femelle, plus imposante que le mâle (environ 30 % plus grande), peut atteindre une envergure de 1,80 m pour un poids dépassant les 4 kilos !

Au printemps, cette espèce strictement protégée aménage un nid souvent garni de poils et de plumes provenant de ses proies. La femelle y pond de 2 à 4 œufs qu’elle couve seule pendant une trentaine de jours, tandis que le mâle assure le ravitaillement en nourriture. Après l’éclosion, la mère protège les poussins des intempéries et du soleil, assurant leur survie. Au printemps 2025, trois jeunes hiboux grand-duc découvraient la vie nocturne de la réserve.

Cela fait désormais près de quarante ans que l’espèce a recolonisé la Belgique, après en avoir disparu en 1913. « Les hiboux grand-duc revenus dans notre pays sont les descendants des individus réintroduits en Allemagne à partir des années 1960. Ces super-prédateurs avaient été éradiqués parce qu’ils mangeaient ce que les humains convoitaient, mais aussi en raison de croyances et de légendes tenaces », explique Dominique Jullien.

Pour espérer entendre leur fameux « bouhou » grave et profond, il faudra revenir à la tombée du jour, au début de l’automne — moment privilégié pour tendre l’oreille et saisir leur présence discrète.

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