L’ammoniac, nouvel atout pour la transition énergétique ?

20 juillet 2020
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Second composé chimique le plus fabriqué au monde, facile à produire localement, et capable de stocker et transporter aisément de l’énergie. L’ammoniac possède de nombreux avantages, et pourrait bien jouer un rôle dans la transition énergétique de demain. L’idée est, en tout cas, étudiée par le consortium du projet européen FLEXnCONFU associant 21 partenaires, dont l’UCLouvain.

Cette dernière pilote en parallèle le projet BEST (Belgian Energy SysTem). Il vise, notamment, à établir un état des lieux de la place des vecteurs énergétiques comme l’ammoniac, qui pourrait être converti en électricité, ou en carburants.

Décarboner l’énergie grâce à la chimie

Les ressources énergétiques fossiles sont d’excellents carburants, faciles à stocker et à transporter. Mais leurs réserves sont limitées, et leur combustion contribue au réchauffement planétaire. Face à ces enjeux énergétiques et climatiques, la décarbonation de notre énergie devient nécessaire.

Néanmoins, exploiter les énergies renouvelables amène d’autres défis : comment tirer profit, à grande échelle et en continu, d’une source qui se veut, par nature, variable et locale dans sa production ? Parmi les solutions envisagées, on trouve l’idée de stocker cette énergie verte de manière chimique, sous forme de combustibles. Et l’ammoniac paraît être un bon candidat.

« C’est un élément facile à produire et ce, partout dans le monde, car il suffit de combiner de l’azote et de l’hydrogène », explique Francesco Contino, professeur à la VUB et à l’UCLouvain, et participant au projet FLEXnCONFU au côté du Pr Hervé Jeanmart, coordinateur du projet BEST. « En outre, sa densité énergétique est élevée, ce qui signifie qu’il peut stocker beaucoup d’énergie dans un volume donné, et est donc idéal pour l’import/export. L’intérêt environnemental est qu’il n’émet pas de CO2 en brûlant », ajoute-t-il.

Toutefois, les scientifiques ne disposent pas (encore) d’une compréhension fine de sa combustion. D’où l’intérêt des divers projets de recherches en cours.

Il y a 70 ans, les bus roulaient à l’ammoniac

« Nous savons depuis longtemps que l’ammoniac est capable de brûler, et ainsi de faire fonctionner un moteur à combustion », indique Charles Lhuillier, doctorant à la VUB encadré par le Pr Contino, qui cherche à déterminer si ce produit peut représenter une alternative aux carburants traditionnels.

« Aussi, durant la 2e guerre mondiale, à la suite de la pénurie d’hydrocarbures, les réservoirs des bus belges étaient alimentés par ce produit chimique. Il n’a, par après, plus été utilisé de cette façon , faute d’efficacité ». Sa température d’auto-allumage est, en effet, élevée (650°C). Et sa combustion est cinq fois plus lente que celle du gaz ou de l’essence.

Pour améliorer ses performances, les ingénieurs testent en ce moment plusieurs pistes, comme mélanger le produit à d’autres carburants. « Dans le cadre de ma thèse, nous avons mené des expériences sur des moteurs à essence qui équipent les voitures actuelles. Et en mélangeant l’ammoniac à de l’hydrogène , nous avons pu noter une amélioration des performances du moteur », informe le doctorant.

Une production industrielle à adapter aux besoins de demain

Côté production, les scientifiques se frottent à d’autres difficultés : « Aujourd’hui, l’ammoniac trouve surtout son utilité dans l’agriculture, comme engrais. On le fabrique donc en très grande quantité, et en continu. Or, si l’on utilise l’ammoniac pour stocker et transporter de l’énergie verte, sa production devra également être intermittente, en suivant les aléas du renouvelable », signale Francesco Contino.

En effet, la quantité d’énergie renouvelable produite change d’heure en heure. Si on veut stocker et transporter cette énergie via l’ammoniac, la quantité produite devra ainsi se faire selon la production intermittente et saisonnière des énergies vertes

« Il est possible qu’en s’éloignant du procédé de production initial, les systèmes actuels soient moins efficaces, voire se détériorent », explique Charles Lhuillier.

Les installations actuelles qui produisent l’ammoniac sont des processus industriels figés, développés au cours du siècle dernier, et conçus pour produire des énormes quantités quotidiennes. Il n’existe pas ou peu de recherches sur le fonctionnement et l’efficacité de ces systèmes quand ils devront fonctionner de manière intermittente. C’est pourquoi il existe un risque que ces installations ne « tiennent pas le coup » si on change leur façon de produire l’ammoniac.

Vers la décarbonation de la production industrielle d’ammoniac ?

Ajoutons que la production industrielle d’ammoniac émet actuellement des gaz à effet de serre. « Dans les faits, l’ammoniac (NH3) peut être obtenu en ‘craquant’ une molécule d’eau (H2O), dans laquelle on récupère de l’hydrogène (H), que l’on combine à de l’azote (N) », expose le Pr Contino. Ce processus de fabrication « vert » existe déjà, mais ne se réalise, pour le moment, qu’au sein de petites installations pilotes. « À l’échelle industrielle, cela reste trop coûteux à mettre en œuvre. Du coup, l’hydrogène est obtenu via le ‘craquage’ de molécules de méthane (CH4), ce qui engendre des émissions de CO2 ».

Ainsi, à côté de la recherche sur les carburants et le stockage de l’énergie verte, il y a aussi un intérêt à améliorer la manière dont est développé ce produit chimique. Pour les deux chercheurs, parvenir à décarboner la production industrielle de l’ammoniac serait déjà une belle réussite.

« La viabilité ou non de l’ammoniac comme vecteur énergétique déprendra, finalement, des résultats des recherches en cours qui évaluent les intérêts à l’utiliser, mais aussi des solutions que l’on peut apporter pour améliorer sa production et son exploitation », conclut Charles Lhuillier.

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