Depuis plusieurs années, mais surtout depuis la réouverture en 2018 de l’ « AfricaMuseum », à Tervuren, une des institutions scientifiques fédérales (BELSPO), la question de l’origine des pièces présentes dans les collections occupe le devant de la scène. Et plus particulièrement en ce qui concerne les biens culturels: masques, statuettes, sculptures, objets rituels, etc. S’agit-il de biens spoliés, volés ou, au contraire, acquis légalement? Et dans le cas de biens spoliés: quelle attitude adopter?
« Une petite partie des pièces de nos collections ethnographiques a été acquise à la suite de violences et de pillages, principalement pendant la période de l’État indépendant du Congo (alors propriété privée du roi Léopold II), entre 1885 et 1908 », rappelle Guido Grijsseels, le directeur général de l’AfricaMuseum. « Ces pièces ont été subtilisées pour briser le pouvoir des chefs locaux, pour leur valeur artistique ou encore parce qu’elles étaient utilisées lors de rituels qui allaient à l’encontre des croyances de l’église catholique. »
Nkisi Nkonde, otage depuis 1878
C’est, par exemple, le cas de la statue Nkisi Nkonde. Après une recherche de provenance longue et approfondie, le contexte violent dans lequel cette sculpture a été amenée en Belgique est désormais connu. La statue relève de la catégorie « biens culturels spoliés ».
Son histoire? Alexander Delcommune (1855-1922) a été le premier Belge à s’installer à Boma, à l’embouchure du fleuve Congo. Il travaillait pour une compagnie française. Comme tous les Européens candidats à vivre à Boma, il a dû négocier la propriété des terres et le droit de commercer avec les neuf rois de Boma. Delcommune est entré en conflit avec ceux-ci. En 1878, il a réussi à s’emparer de la statue Nkisi Nkonde du chef Kongo Ne KuKo lors d’une attaque armée. Il s’agit d’un fétiche à clous, qui avait des pouvoirs magiques pour les Kongo. Delcommune a considéré cette statue comme un otage, et l’a emmenée en Belgique. Elle est ensuite entrée dans les collections du musée en 1912.
Entre 900 et 35.000 pièces aux origines douteuses
D’autres pièces ethnographiques aux origines douteuses conservées à Tervuren datent de la période coloniale (1908 à 1960). « Sur les 191.789 pièces des collections ethnographiques du musée, entre 900 et 1.500 objets culturels seraient des pièces spoliées », estime le directeur de l’AfricaMuseum. « Toutefois, si une définition plus large de la notion de spoliation devait être retenue, ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 35.000. »
Cette situation a amené le secrétaire d’Etat Thomas Dermine (PS), en charge notamment de la Politique scientifique au sein du gouvernement fédéral, à imaginer un cadre systémique en ce qui concerne la restitution de certaines de ces pièces aux origines douteuses.
Son plan comprend deux axes:
1. Identifier l’origine de chaque pièce présente dans les collections du musée et de les classer en trois catégories. Celles acquises légalement, celles dont on ne connaît pas encore l’origine réelle et qui doivent faire l’objet de recherches scientifiques et collaboratives quant à leur provenance et enfin, les pièces clairement spoliées et identifiées comme telles.
2. En ce qui concerne les pièces spoliées et celles qui doivent faire l’objet d’études, il souhaite les faire passer du domaine public de l’Etat (où elles sont de facto inaliénables) vers le domaine privé de l’État, où elles pourraient alors être restituées, selon des modalités à définir.
La « recherche de provenance » comme priorité
Bien entendu, il convient parallèlement à définir dans quelle catégorie entre chaque pièce litigieuse. L’AfricaMuseum accorde une grande importance à la « recherche de provenance ». Celle-ci consiste à étudier en profondeur l’origine des acquisitions des objets. Un travail titanesque.
« Il va de soi qu’un renforcement des collaborations scientifiques et culturelles est nécessaire », indique le secrétaire d’Etat Thomas Dermine. « Mon objectif est d’entamer les travaux pour identifier une série de mesures et d’initiatives communes visant à renforcer les collaborations scientifiques et culturelles entre la Belgique et la République démocratique du Congo, dans le cadre de la restitution et plus largement dans le cadre de la conservation, de la recherche et de la valorisation de ces objets.»
« Il conviendra ainsi d’interroger les représentants de la RDC quant à l’appui qui peut être utilement apporté par notre pays pour permettre et accompagner la restitution matérielle effective : transfert de certaines compétences acquises par les institutions détentrices des objets en matière de conservation, aide à la création d’espaces de stockage et de valorisation adaptés, soutien en matière d’inventaire des collections, etc. La restitution serait au cœur du dialogue à entamer, mais la « reconstitution » des collections, ainsi que les possibilités de numérisation, de prêts et d’expositions itinérantes seraient également discutées », estime-t-il.
Pour l’heure, dès les premières salles permanentes du musée, les visiteurs découvrent trois vitrines liées au « parcours de provenance » des collections ethnographiques. Ce parcours met en lumière des objets de provenances diverses et donne une image nuancée de la complexité que représentent l’acquisition, la conservation, l’appropriation, l’accessibilité et la restitution.
Le fameux éléphant du musée attend lui les visiteurs plus loin, dans le bâtiment historique. Il n’est pas du tout concerné par cette problématique de restitution. « Seules les œuvres culturelles entrent ici en ligne de compte », précise Guido Grijsseels, le directeur des lieux. « Pas les collections de sciences naturelles. »