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Turbulences dans l’aéronautique et l’éolien

20 août 2019
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Série (2/5) : “Les spin-offs esquissent le futur”

Qu’y a-t-il de similaire entre une éolienne et un avion de ligne ? A priori pas grand-chose, si ce n’est que tous deux dépendent d’un même élément pour fonctionner : l’air. Aussi, quand un avion vole et qu’une éolienne tourne, les deux frottent l’air et génèrent des « turbulences de sillage ». Elles se matérialisent par deux tornades miniatures qui émanent de l’aile d’un avion, ou de chaque pale d’une éolienne, tournant dans des sens opposés. Comme toutes tornades, elles peuvent s’avérer dangereuses.

Prédire numériquement l’impact de ces turbulences est ce que propose depuis 2013 l’entreprise WaPT (Wake Prediction Technologies), une spin-off de l’Université Catholique de Louvain.

Vols et production d’électricité perturbés

« Cette spin-off est le résultat des recherches que j’ai menées à l’Institut de Mécanique, des Matériaux et du Génie Civil. J’y ai étudié les turbulences de sillage d’avions dans le cadre de ma thèse, et développé un outil efficace pour analyser et prédire ces tourbillons. Dans le cadre d’un post-doctorat, j’ai ensuite étudié celles produites par les éoliennes » relate Ivan De Visscher, docteur en ingénierie mécanique et fondateur de WaPT.

Les turbulences de sillage sont des phénomènes physiques connus depuis longtemps dans l’aviation. Elles sont même visibles à l’œil nu. Ce sont les deux lignes blanches s’étendant à l’arrière des appareils. Ces tourbillons représentent un danger potentiel, car ils risquent de déstabiliser le vol des petits avions situés dans le sillage des plus gros aéronefs.

Plus l’appareil est volumineux, plus les turbulences qu’il génère sont importantes. La mise en service en 2007 de l’A380 et ses 80 mètres d’envergure a rendu la gestion de ces turbulences de sillage encore plus cruciale.

Dans le cas d‘un champ d’éoliennes, les turbulences produites par la première d’entre elles a un impact sur la deuxième, et ainsi de suite. Une éolienne dans le sillage d’une autre produira dès lors moins d’énergie et sa structure tiendra moins longtemps.

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Simulation numérique de turbulences © CUSL / H. Depasse

Garder numériquement ses distances

Une solution intuitive pour éviter ces problèmes est d’appliquer des règles de séparation adéquate. Autrement dit, il s’agit de laisser s’écouler suffisamment de temps entre deux décollages et/ou atterrissages, ou de placer deux éoliennes assez loin l’une de l’autre.

Suite aux recherches du Dr De Visscher, ces stratégies, établies dans l’aéronautique depuis plus de 40 ans, sont désormais à envisager sous un nouvel angle.

« L’outil, en simulant et prédisant ces turbulences par des modèles numériques, est, en effet, capable de déterminer pour chaque cas donné les séparations sûres; celles qui sont trop prudentes et qu’on pourrait éventuellement réduire; ainsi que celles qu’il vaudrait mieux augmenter » précise-t-il.

« Une fois le dispositif développé, nous avons eu de plus en plus de demandes du secteur aéronautique. Certains industriels souhaitent établir des séparations moins strictes pour augmenter, en toute sécurité, la capacité des aéroports ». C’est le cas de NATS, le plus grand contrôleur aérien du Royaume-Uni. Ainsi que l’organisation Eurocontrol qui se charge de la sécurité de la navigation aérienne en Europe.

Le marché des PME, petites et moyennes éoliennes

La start-up, lancée sur fonds propres avec deux collègues, obtient une réelle reconnaissance du secteur aéronautique lors de sa participation aux changements des règles de séparation de l’aéroport Charles de Gaules (Paris). « En extrapolant les mesures grâce à notre outil, nous sommes devenus la première entreprise à proposer de nouvelles réglementations sur base de simulations numériques » se réjouit le manager de WaPT. Depuis lors, la start-up multiplie les contrats dans les aéroports du monde entier : Hong Kong, Dubaï, Londres, etc.

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L’équipe WaPT © WaPT

En parallèle, la spin-off diversifie ses activités et mise sur le secteur éolien où l’on retrouve les mêmes phénomènes de turbulences. L’équipe travaille en ce moment sur des modèles de prédiction pour les petites et moyennes éoliennes, en collaboration avec l’UCLouvain et l’UMons.

« Les règles de bonnes pratiques pour les grandes éoliennes ne sont pas transposables aux petites. Il est nécessaire de développer de nouveaux modèles pour optimiser l’emplacement de ces dernières et donc leur production d’énergie ».

Un pont science-industrie est nécessaire

La recherche et le développement de nouvelles solutions est au cœur de WaPT, avec l’objectif de trouver des réponses aux problèmes industriels. La recherche appliquée dans les secteurs aéronautique et éolien demeure rare selon l’entrepreneur : « On note d’un côté le savoir-faire de chercheurs dans des centres de recherche ou des universités, mais qui ne souhaitent pas faire de la recherche appliquée. Et on voit de l’autre côté des industriels qui voudraient bien le faire, mais qui sont limités dans leur maîtrise et leurs compétences » témoigne-t-il.

Selon Ivan De Visscher, la force des spin-offs est de construire un pont entre ces deux univers, en proposant des solutions appliquées et validées par la science. « En tant que chercheur et entrepreneur, je veux être convaincu par ce que je vends. Et une de mes plus grandes fiertés est de voir aujourd’hui des modèles appliqués sur base de nos études scientifiques » conclut Ivan De Visscher.

 

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