« À l’école primaire, deux tiers des enfants ont un intérêt pour la science. Mais au cours des années d’école secondaire, le pourcentage de filles intéressées par ces matières chute de façon spectaculaire ». À Namur, Julie Henry, Docteure en didactique de l’informatique et en sciences de l’éducation posait la question suivante: « les filles, boudent-elles vraiment les sciences… ou sont-elles poussées à les bouder » ?
La scientifique s’adressait aux professeurs de sciences du secondaire, réunis à l’UNamur dans le cadre de leur 60e Congrès des Sciences. Cette grande réunion annuelle, organisée sur deux jours, permet aux enseignants de se retrouver autour de thématiques d’intérêt pour leur profession, et ce à quelques jours de la rentrée scolaire.
Se méfier des stéréotypes de genre
L’objectif de la conférence de Julie Henry était d’éclairer les enseignants sur la problématique des stéréotypes de genre dans le domaine des STEM (sciences, techniques ingénieurs et mathématique). « Si les filles se retrouvent peu nombreuses dans ces filières, est-ce vraiment parce qu’elles n’en ont pas envie ? », demande-t-elle.
« En réalité, quand les élèves de l’enseignement primaire arrivent dans le secondaire, 43% des garçons et 27% des filles se disent intéressées par les sciences et les technologies », indique celle qui depuis cet automne occupe le poste de cheffe de projets STEAM (acronyme dans lequel le « A » fait référence aux arts, à la créativité) à l’UNamur. Elle avance encore d’autres chiffres tirés de l’enquête internationale « Gender Scan 21 », qui a porté sur 32.000 personnes, dont 650 en Belgique. Le questionnaire de cette enquête a été complété principalement par des adultes, actifs dans différents domaines, mais également par 5.600 adolescents.
Ne pas négliger l’influence des proches, mais aussi des professeurs
Juste après l’arrivée dans le secondaire, l’enquête montre une croissance de l’intérêt des filles pour les sciences et les technologies. À 15-16 ans, elles seraient ainsi 33% à marquer un intérêt pour ces matières, alors que celui des garçons commence à chuter (25%). Une perte d’intérêt qui concerne ensuite autant les filles que les garçons quand ces jeunes arrivent à la fin de leurs études secondaires.
« Pour maintenir et développer l’intérêt pour les filières STEM, il faut donc intervenir dans le secondaire inférieur », dit Julie Henry. « Et là, l’influence des professeurs est prépondérante ». Les garçons (39%) et les filles (38%) disent que ce qui les a le plus influencés dans le choix de leur formation vers une filière STEM a été un de leurs professeurs de l’école secondaire. Les proches et la famille sont également de bons vecteurs de motivation, tout comme un événement ou une sortie, un forum « métiers » ou les médias. Par contre, les réseaux sociaux ne semblent jouer quasiment aucun rôle dans ces choix (4% et 7% à peine, respectivement).
Des proportions qui changent cependant si on s’intéresse aux formations et aux métiers du numérique. Ici, ce sont les proches qui sont les plus motivants (37% pour les garçons et 40% pour les filles) et nettement moins les professeurs (17% et 19% respectivement). « On ne peut pas choisir ce qu’on ne connaît pas », dit Julie Henry.
Plus globalement, si on s’intéresse aux raisons qui poussent les filles vers les STEM, ou plus exactement ce qui les écarte de ces filières, on retrouve la question des stéréotypes implicites de genre tout au long de leur vie, mais aussi des représentations erronées des métiers concernés. L’informatique, ce n’est pas qu’un truc de geeks ou de hackers!
« Dégenrer » le matériel pédagogique
« Pour cultiver l’intérêt pour les STEM et l’informatique, et le faire évoluer, il faut donc le susciter dans le secondaire inférieur et augmenter les connaissances et la confiance dans le secondaire supérieur », estime la scientifique.
En ce qui concerne les filles, cela passe par un environnement «friendly» qui leur fournit l’opportunité de «rattraper » l’expérience des garçon, acquise lors du temps libre, et de gagner en confiance. « Par exemple en regroupant les filles pour certaines activités, en ayant une attitude positive envers l’échec, en valorisant les activités où elles performent le mieux. »
L’idéal est de créer un premier contact avec les STEM plus tôt dans l’existence, avec les jeux d’enfants notamment. « En ce qui concerne l’informatique, mieux vaut ne pas mettre le codage pur en avant. Ce n’est pas satisfaisant intellectuellement pour les filles. Il faut davantage miser sur la créativité, sur le processus « réfléchir, concevoir, résoudre un problème », tout en tissant des liens avec la vie réelle et l’interdisciplinarité.
Les situations de compétition sont à proscrire. Par contre, emmener la classe à des événements, en excursion, lui faire découvrir des récits et des rôles modèles accessibles est à favoriser. Et, bien entendu, prendre avant tout conscience des stéréotypes et veiller à « dégenrer » le matériel pédagogique. Sans oublier de mettre d’emblée le focus sur les débouchés, avant même d’aborder le contenu des programmes », conclut la Dre Henry.