Représentation d'artiste de Temnodontosaurus © Duskyvel Deviantart https://www.deviantart.com/duskyvel

Adaptations prédatrices chez Temnodontosaurus, le grand reptile marin du Jurassique

20 novembre 2023
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 5 min

Au Jurassique inférieur, la région d’Arlon était bordée par une mer subtropicale. Dans ces eaux chaudes barbotait un véritable monstre marin : le Temnodontosaurus. Même si, sans prendre sa taille gigantesque en compte, son allure fait globalement penser à celle du dauphin actuel, il s’agit d’un reptile. Plus précisément d’un ichtyosaure. « On pense souvent que ce top prédateur se nourrissait d’autres gros reptiles marins, mais dans quelle mesure était-il adapté à ce régime alimentaire ? C’est ce que notre étude a investigué, en s’intéressant spécifiquement à la diversité morphologique des crânes et des dents », explique Dre Rebecca Bennion. Ces travaux ont été menés dans le cadre de sa thèse de doctorat à l’Université de Liège et l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, soutenue en mars 2023.

Le Temnodontosaurus se décline en 7 espèces différentes. La plus grande d’entre elles est lourde de 8 tonnes. Son corps long de plus de 12 m supportait un museau allongé grand de 2 m garni des plus grands yeux jamais découverts dans le règne animal. De la taille d’un ballon de football, ils étaient encerclés de structures osseuses pour les protéger de l’explosion lorsque leur propriétaire plongeait à grande profondeur, là où règnent de très hautes pressions. Des indices suggèrent que son acuité visuelle était exceptionnelle, faisant de lui un redoutable chasseur.

Rebecca Bennion scanne en 3D un crâne de Temnodontosaurus exposé au Urwelt Museum Hauff à Holzmaden, en Allemagne. ©R. Hauff.

Méthodes non invasives

La chercheuse a analysé l’anatomie du crâne et des dents de nombreux spécimens des différentes espèces de Temnodontosaurus. Pour ce faire, elle a eu recours à la microscopie électronique à balayage et au scan 3D.

« La première technique, aussi appelée imagerie SEM, nous permet d’obtenir une vue détaillée de la surface de la couronne dentaire et des structures de l’émail. Certaines dentelures dentaires n’étaient d’ailleurs visibles que par cette technique. »

« Quant au scan 3D de spécimens, il est un moyen innovant de collecter des données morphologiques avec précision et efficacité, y compris à partir de grands crânes difficiles d’accès dans les expositions des musées ! Grâce à ces modèles, nous avons pu évaluer les caractéristiques écologiques telles que la musculature de la morsure sur de nombreux spécimens provenant de plusieurs pays », précise Dre Rebecca Bennion.

Le Temnodontosaurus présente une série d’adaptations du crâne et des dents pour attraper ses proies, y compris l’hétérodontie (différentes formes de dents sur la mâchoire) et des bords tranchants dentelés visibles au SEM © Rebecca Bennion / Université de Liège / Institut royal des Sciences naturelles de Belgique

Des dents acérées

Chez une espèce de Temnodontosaurus, elle a découvert la présence de dents aux tranchants dentelés. Tel un couteau à steak ? « La partie coupante de la lame du couteau à steak est constituée de véritables dentelures. Dans le cas des dents de l’ichtyosaure, il s’agit de « fausses » dentelures. Pour reprendre l’analogie du couteau à steak : ses dentelures seraient « fausses » si les crêtes dentelées se poursuivaient sur les côtés de la lame du couteau », explique Dre Bennion.

Et de préciser, « comme avec un couteau à steak, les dentelures augmentent l’efficacité de la lame, permettant à l’ichtyosaure de couper plus facilement sa proie. Nous interprétons leur présence comme une adaptation à la consommation de grosses proies qui ne peuvent pas être avalées entières. Et qui doivent donc être capturées et coupées en morceaux plus petits. »

Toutes les espèces de Temnodontosaurus étudiées ne sont pas dotées de ces fausses dentelures dentaires. « Certaines ne les ont peut-être pas développées, car leur régime alimentaire était composé de proies plus petites, lesquelles peuvent être capturées avec des dents plus simples. »

Dents provenant des collections de l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, montrant l’hétérodontie chez Temnodontosaurus platyodon © Rebecca Bennion / Université de Liège / Institut royal des Sciences naturelles de Belgique

Les ancêtres de nos incisives et molaires

L’étude a également montré la présence d’hétérodontie. Comme chez l’humain, il s’agit d’un changement de morphologie des dents entre l’avant et l’arrière de la mâchoire.

Cette observation est surprenante, car la grande majorité des ichtyosaures du Jurassique et du Crétacé ont, au contraire, des dents homodontes : « l’hétérodontie est connue chez certains reptiles marins, mais elle n’est pas courante : la plupart ont des dents similaires sur toute la mâchoire. »

La chercheuse a observé une hétérodontie assez forte chez une espèce de Temnodontosaurus en particulier : à l’avant, des dents coniques avec des lames peu acérées, bien adaptées pour attraper des proies ; et à l’arrière des dents comprimées avec deux lames tranchantes, bien adaptées pour les découper en petits morceaux à avaler.

A noter qu’un style d’hétérodontie similaire a été observé chez les premiers cétacés, et a probablement rempli une fonction similaire dans la capture de proies. « L’évolution indépendante de caractéristiques similaires chez différents groupes d’animaux est connue sous le nom d’évolution convergente. »

Une diversité de formes de dents et de niches écologiques

Toutes les espèces de Temnodontosaurus ne montrent pas des dents dotées de fausses dentelures ni d’hétérodontie. De quoi permettre une capture de proies de tailles différentes, lesquelles étaient consommées de différentes manières.

« Cette large gamme de formes de dents révèle que les différentes espèces de Temnodontosaurus occupaient des niches écologiques différentes dans l’écosystème océanique du jurassique inférieur, il y a de 201 à 174 millions d’années. Cela permettait d’éviter la concurrence entre eux et avec d’autres ichtyosaures de l’époque », conclut Dre Bennion.

 

Haut depage