Les marchands de bonheur envahissent la psychologie positive

21 janvier 2022
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
"La face cachée de la psychologie positive", par Michel Hansenne. Editions Mardaga. VP 39,90 euros
« La face cachée de la psychologie positive », par Michel Hansenne. Editions Mardaga. VP 39,90 euros

La psychologie positive ne s’attarde pas sur les souffrances. Elle cultive les aspects positifs. Elle séduit. Avec ses livres, ses applications mobiles, ses ateliers de changement de vie, ses coaches. Aux éditions Mardaga, Michel Hansenne dévoile «La face cachée de la psychologie positive».

Une médicalisation déguisée

«Alors que la psychologie positive s’enorgueillit de sortir du modèle médical en proposant de s’axer sur les forces des personnes plutôt que de guérir une maladie, on assiste à une forme déguisée de médicalisation du bonheur», constate le dirigeant du service de psychologie de la personnalité et des différences individuelles à la Faculté de psychologie, logopédie et sciences de l’éducation de l’ULiège.

«Ces nombreux livres et formations en tout genre sont, en outre, de qualités très diverses, ont des bases théoriques assez floues. Et sont proposés par des personnes ayant des parcours de formation très variés.»

«Il est essentiel de comprendre qu’il existe une différence majeure entre le mouvement de la psychologie positive, celui qui est diffusé dans ces ouvrages et formations diverses dont la rigueur est contestable. Et les recherches scientifiques sur le bien-être et son développement qui, elles, sont rigoureuses et plus nuancées.»

Des thématiques existantes

C’est en 1997, lors d’une rencontre imprévue pendant leurs vacances à Hawaï, que l’idée de la psychologie positive germe chez Martin Seligman, président de l’American Psychological Association (APA), et le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi qui étudiait l’épanouissement personnel depuis une quarantaine d’années.

«Plutôt que de créer formellement un nouveau courant issu de nulle part, la psychologie positive a fédéré des thématiques existantes», explique le Pr Hansenne. «Sa caractéristique propre, mais pas foncièrement originale non plus, il faut le reconnaître, a été de proposer, au travers d’interventions spécifiques, des manières de bonheur individuel et collectif.»

Les actions intentionnelles

En psychologie positive, exprimer sa gratitude, envisager le meilleur futur possible et cultiver ses forces de caractère augmentent le bonheur de tous. Les 40% voués à ces activités intentionnelles voisinent avec 50% d’influences génétiques, 10% de circonstances de vie.

«Il s’avère que l’estimation du rôle qu’ont les activités intentionnelles sur le bien-être est largement grossie, et ce en méjugeant l’impact des circonstances de vie», rétorque le chercheur. «La formule du bonheur est nettement plus complexe. Et faire miroiter qu’implémenter des actions intentionnelles va augmenter le bien-être et le rendre durable n’est pas foncièrement honnête.»

«Les chiffres, en tous, cas, ne sont pas le fort de ce mouvement, puisqu’un autre nombre mythique, le ratio de 3,2 entre les émotions positives et négatives, qui décrit la limite à franchir pour faire décoller le bonheur au firmament, n’est guère fondé.»

«Plus gravement, à cela s’ajoute la toute relative efficacité des interventions de psychologie positive sur le bien-être pourtant vendues comme des outils simples, rapides et auto-administrés pour accroître le bonheur. Ne parlons pas des conséquences bénéfiques des coaches de vie sur les individus, car cela ne peut tout simplement pas réellement se démontrer pour l’instant.»

La responsabilité individuelle

Selon le docteur en psychologie, on ne peut pas perdre de vue que la psychologie positive est une entreprise rentable. «Si bien que, forte de ses soi-disant données robustes, elle s’érige en conseillère des décideurs politiques afin de leur donner des astuces pour rendre les personnes heureuses. Et de véhiculer l’idée de responsabilité individuelle sur le niveau de bien-être.»

«Dès lors, comment envisager un changement sociétal là où le sort de chacun est déterminé dorénavant par des efforts individuels?»

Enrichir les connaissances

Pour Michel Hansenne, il ne s’agit pas de rejeter en bloc tout l’édifice construit par Seligman et Csikszentmihalyi. Mais d’encourager la recherche en psychologie positive. Des études suggèrent notamment des pistes pour se désengager de buts inatteignables. D’accepter les moments plus sombres. Plutôt que de les éviter sous prétexte qu’il faut être heureux à tout prix.

«Il est très important que de telles recherches soient encouragées pour donner un tableau plus juste, plus tempéré de la psychologie positive. La recherche ne peut qu’enrichir les connaissances sur le bien-être qui reste, au demeurant, une question complexe et délicate qui ne pouvait être éludée subitement par un regard positif transpirant le modèle de réussite américain sur l’homme.»

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