L’évaluation traverse une crise profonde

21 février 2017
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 3 minutes

L’Association pour le Développement des Méthodologies d’Évaluation en Éducation (ADMEE-Europe) réunit des chercheurs, des enseignants, des formateurs francophones. Son 27e colloque international s’est tenu à l’Université de Liège (ULg) en 2015. Il se prolonge par «L’évaluation à la lumière des contextes et des disciplines» qui vient de paraître aux éditions De Boeck Supérieur.

 

Un concept insaisissable

 

"L'évaluation à la lumière des contextes et des disciplines", Ed De Boeck, 36 euros.
“L’évaluation à la lumière des contextes et des disciplines”, Ed. De Boeck, 36 euros.

«En tant qu’enseignants et chercheurs, nous sommes cernés par des dispositifs d’évaluation», constatent les professeurs de l’ULg, Pascal Detroz, Marcel Crahay et Annick Fagnant qui dirigent l’ouvrage. «À certains moments, nous sommes les évaluateurs, à d’autres les évalués.»

 

«Paradoxalement, le concept d’évaluation a rarement été aussi peu limpide. Comme tout élément en forte croissance, l’évaluation traverse une crise profonde. Nous sommes à un stade où, à force d’être utilisé tout le temps et en tous lieux, par tout un chacun selon plusieurs sens et fonctions, le concept scientifique d’évaluation se dilue jusqu’à devenir insaisissable.»

 

«Notre parti pris n’est pas de plaider en faveur d’un modèle, ou d’une logique. Il s’agirait plutôt de les mettre en débat. En tant que spécialiste de l’évaluation, notre rôle est d’éclairer les enjeux et de dénoncer les éventuelles incohérences que l’on peut trouver dans les dispositifs auxquels nous sommes confrontés.»

 

Les redoublements sont arbitraires, injustes et délétères

 

Le livre scrute les enquêtes internationales comparatives. L’évaluation en mathématiques. Les limites en français langue étrangère. L’apprentissage par la lecture. Les pratiques dans l’enseignement supérieur. Les modèles psychologiques. La fiabilité des évaluateurs.

 

Pour Géry Marcoux et Marcel Crahay, professeurs à l’Université de Genève, il est légitime de se questionner sur les prises de décisions quant au redoublement dans les pays membres de l’ADMEE.

 

«Sur la base de recherches, il est possible de dénoncer le caractère arbitraire et injuste des redoublements. D’en souligner le caractère stigmatisant. Et par voie de conséquence, délétère sur l’image de soi des élèves.»

 

Les spécialistes de l’évaluation ont cherché à comprendre par quels mécanismes psychologiques les praticiens belges, français et suisses légitiment la pratique du non-passage de classe dans l’enseignement primaire.

 

L’évaluation des élèves et les décisions de redoublement s’inscrivent dans les systèmes éducatifs. Dans des cultures éducatives qui influent sur le processus psychologique des praticiens. En Fédération Wallonie-Bruxelles, les futurs enseignants accordent une importance beaucoup plus grande aux notes scolaires que ceux du canton de Genève. Pour ces derniers, les notes passent au second plan, derrière le travail au jour le jour. Ce qui compte selon eux, c’est surtout le jugement psychologique porté sur la façon dont les apprenants assument leur métier d’élève.

 

Les enseignants sont sensibles à la réaction de leurs collègues

 

Les jugements des enseignants s’appuient sur les performances des élèves selon un modèle de référence influencé par les programmes. Les normes fluctuent selon les écoles. Elles sont plus exigeantes dans les établissements réputés. La plupart des enseignants sont pénétrés de la croyance qu’il y a nécessairement quelques forts dans leur classe. Beaucoup de moyens et quelques faibles. Les praticiens gèrent des critères d’évaluation qui génèrent un petit groupe de faibles, source de redoublants.

 

Nombreux sont les enseignants qui se montrent sensibles au jugement social de leurs collègues. À la réaction de celui qui recevra leurs élèves. Les praticiens qui suivent leurs élèves lors du changement de classe ne font quasiment jamais redoubler.

 

«À ce stade de nos études, certaines décisions de redoublement et d’orientation vers l’enseignement spécialisé restent une énigme. Dans la plupart des cas, les enseignants prennent leurs décisions de redoublement sans avoir l’assurance de prendre la bonne décision.»

 

«Ces décisions prises dans l’incertitude répondent à une demande institutionnelle. En fin d’année, les enseignants doivent décider du sort de chacun de leurs élèves. C’est la règle. Dans ce contexte, la croyance en l’efficacité du redoublement est psychologiquement fonctionnelle. Elle permet aux enseignants de penser qu’ils agissent dans l’intérêt des élèves en difficulté.»

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