Les gènes du poisson-chat racontent l’histoire des paysages africains

21 avril 2020
par Daily Science
Durée de lecture : 4 min

L’ADN du poisson-chat africain, Clarias gariepinus, le poisson d’eau douce le plus répandu d’Afrique, permet aux scientifiques de reconstruire l’histoire des paysages africains. En étudiant les parentés génétiques entre diverses populations de poissons-chats, des chercheurs belges, autrichiens, canadiens, congolais et sud-africains, dont Maarten Van Steenberge, spécialiste des poissons (ichtyologue) à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, ont en effet pu déterminer les périodes d’apparition des déserts, des lacs et des montagnes, ainsi que l’évolution des fleuves et des rivières en Afrique.

Maarten Van Steenberge visite un marché aux poissons en Ouganda et tient un spécimen de poisson-chat Clarias gariepinus © Maarten Van Steenberge

« Quand une population est scindée suite à un changement du paysage ou du climat, cela laisse des traces dans ses gènes », explique le professeur Filip Volckaert, expert en biologie évolutionnaire à la KU Leuven, qui a dirigé cette étude.

« Nous pensons que c’est dans la région des Grands Lacs africains que l’espèce est apparue et qu’elle s’est ensuite dispersée à travers tout le continent », explique Maarten Van Steenberge, de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique.

 

Carte des sites d’échantillonnage des poisson-chats africains (C. gariepinus) utilisés dans l’étude © Volckaert et al.

Séparation par des déserts

Leurs analyses génétiques montrent l’existence de deux grandes familles de poissons-chats. La première se retrouve plutôt dans le nord. La seconde occupe principalement le sud-ouest de l’Afrique. Ce qui est remarquable, c’est que ces régions comprennent des zones parmi les plus arides du continent : le Sahara et le Sahel au nord, mais aussi le Kalahari, le Namib et le Karoo au sud.

Les lacs et les rivières où vivent les populations étudiées se situent donc à des distances considérables et sont séparés par des étendues désertiques.

« On pourrait supposer que ces régions inhospitalières forment des barrières pour la migration des poissons. Ce qui est vrai. Mais l’apparentement entre les diverses populations de poissons-chats laisse supposer que dans le passé, le paysage était très différent », explique Maarten Van Steenberge.

Jusqu’à il y a environ 5000 ans, des lacs immenses se trouvaient là où, aujourd’hui, on retrouve des déserts. Le plus grand de ces lacs, le « Mega-Chad » avait une superficie d’environ 300.000 km2.

Reconstruction de la dispersion des poissons-chats Clarias gariepinus en Afrique © Volckaert et al.

Évolution des confluences

Dans le bassin-versant du fleuve Congo, la situation est différente. Au centre, les populations de poissons-chats sont génétiquement particulièrement apparentées. Mais aux alentours du fleuve Congo, elles sont particulièrement… différentes !

Jadis, les rivières actuelles étaient reliées à d’autres rivières, mais elles en auraient été séparées par des changements géologiques. Ce faisant, elles ont inversé leur cours, et ont commencé à se déverser dans le fleuve Congo. Ce qui explique la grande diversité génétique des familles de poissons-chats qu’on y rencontre.

Deux chercheurs tenant un poisson-chat Clarias gariepinus capturé dans la rivière Lufira en RDC © Auguste Manda Chocha

Le choix ne s’est pas porté sur le poisson-chat africain de manière aléatoire. « C’est le seul poisson d’eau douce qui se trouve partout en Afrique et, de surcroît, dans presque tous les biotopes possibles : lacs, rivières et marais », explique Maarten Van Steenberge. « Ce choix était une évidence si on voulait obtenir une vue générale de l’évolution du paysage de tout un continent. »

L’importante distribution de ce poisson est due à sa capacité d’adaptation. Il est omnivore, il supporte bien la sécheresse et il peut même respirer de l’air grâce à un organe spécial dans les branchies. Tout cela lui permet de migrer sur la terre ferme !  Une fois qu’il a colonisé un endroit, il ne le quittera probablement plus jamais. Ce qui en fait un témoin idéal pour l’étude de l’histoire géologique.

 

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