Dans sa «Petite histoire de l’orthographe française» parue dans la collection «L’Académie en poche», le linguiste Marc Wilmet fustige l’enseignement grammatical imposé trop tôt et abandonné quand il peut devenir efficace. Il critique le barnum des concours d’orthographe. L’opuscule reprend les propos tenus par l’académicien en septembre 2014 au Collège Belgique.
«Mon but est d’identifier la source des difficultés graphiques du français», explique le professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). «Puis de montrer à quel point les hantises orthographiques propres à notre culture ont entrainé la dénaturation de l’enseignement grammatical».
Écrire comme on parle
Apparue plusieurs centaines de milliers d’années après la parole, l’écriture devrait se régler sur le langage…
«Idéal quasi réalisé en latin, notre langue mère. En gros, tout ce qui s’y écrit se prononce et tout ce qui s’y prononce s’écrit. Le problème orthographique ne se pose guère davantage en italien ou en espagnol, nos langues sœurs. Et pas le moins du monde en finnois, par exemple».
En français, les copistes des XIe XIIe siècles se fondent amplement sur le principe de l’écriture phonétique. Le mot «mes», par exemple, désigne aussi bien la conjonction «mais», l’adjectif «mes» que le «mets», l’aliment cuisiné. Cette pratique est d’une assez grande simplicité. Mais elle est instable. Elle fluctue d’un scripteur à l’autre. Parfois même chez le même scripteur.
Tout se gâte aux XIIIe et XIVe. Comme les mots subissent depuis le latin une érosion phonétique qui leur retranche une ou deux syllabes, des copistes cèdent à un souci ornemental. Ils pourvoient la lettre «i» d’une queue pour en faire un «y». Bricolent des «e» dans «a» ou dans «o» pour obtenir «æ», «œ». Jumellent des consonnes. Se remémorent des souvenirs du latin… L’invention de l’imprimerie au XVe siècle et son expansion au XVIe siècle consacrent le désordre.
La simplification démange le XVIe siècle
Dès le XVIe siècle, beaucoup de grammairiens et d’écrivains sont déjà favorables à des simplifications graphiques. A la réduction des doubles consonnes. A la suppression de lettres superflues. Mais ils doivent s’incliner devant les imprimeurs. Céder aux arguments de l’Académie française qui se préoccupe de la pureté de la langue et de composer son Dictionnaire.
La première édition de cette bible du français le plus correct paraît en 1694. Pour la graphie des mots, les 40 immortels ont choisi l’ancienne orthographe. Parce qu’elle «distingue les ignorants d’avec les gens de lettres et les simples femmes», celles qui n’ont pas appris le latin et le grec.
Au fil du temps, l’Académie française est contrainte à supprimer des lettres doubles ou inutiles. A utiliser l’accent circonflexe pour marquer l’allongement d’une syllabe. La réforme est freinée dès la 7e édition du Dictionnaire en 1932. Aux 6.000 modifications de 1740 et de 1762 affectant 36% des mots ne répondent que 475 retouches. Soit 1% des mots.
Le «nénufar» fleurit en 1990
En 1950 et en 1960, sans consulter l’Académie française, deux commissions ministérielles mettent de la clarté et de l’ordre dans les graphies. Elles récoltent des opinions sympathiques dans les journaux de gauche, hésitantes au centre, incendiaires à droite. Des linguistes succèdent aux philologues. Parmi eux des Belges. Joseph Hanse, professeur à l’Université Catholique de Louvain (UCL). Et Jean-Marie Klinkenberg qui enseigne à l’Université de Liège (ULg).
En 1981, l’Association des professeurs issus de l’ULB rédige une motion qui clôture son colloque «L’orthographe, école de la rigueur ou moyen de sélection sociale?». Elle constate que réaliser un sans-faute pose des difficultés considérables aux francophones et aux étrangers. Propose aux enseignants de ne plus accorder d’importance excessive aux erreurs des élèves.
«Le terrain, bêché et labouré de toutes parts, était prêt à un nouvel ensemencement», conclut Marc Wilmet.
«Ce sera la réforme de 1990. Si elle achète et vend au prix fort quelques régulations ponctuelles et des retouches cosmétiques, elle a le mérite de préparer ou, en l’espèce, de réhabituer le public à la légitimité de révisions périodiques, comme cela se pratique aux Pays-Bas ou en Allemagne. Ouvrant de proche en proche à une refonte réellement sérieuse».