La malbouffe enflamme nos intestins

21 juin 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Trop grasse, trop sucrée, trop salée, bourrée d’additifs, ultra-transformée … Les griefs à l’encontre de l’alimentation moderne sont nombreux. En Belgique, les régimes alimentaires néfastes figurent dans le top 5 des facteurs de risque entraînant le plus de décès et d’incapacités combinés. Leurs conséquences sur la santé sont de plus en plus documentées : cholestérol, diabète, ou encore cancer, pour ne citer qu’eux. Mais qu’en est-il des pathologies digestives ? Leur déclenchement, serait-il dû à nos (mauvaises) habitudes alimentaires ? C’est la question à laquelle a tenté de répondre la Dre Catherine Reenaers (CHU de Liège), lors d’une conférence organisée à l’occasion de la 5e édition du Festival de la transition alimentaire. Présidente de la société liégeoise de gastro-entérologie, cette scientifique est spécialisée dans la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (ou MICI).

 

Microbiote d’un patient sain versus d’un patient atteint de la maladie de Crohn © C. Manichanh et al. – Cliquez pour agrandir

Des pathologies en augmentation

Les MICI regroupent la maladie de Crohn et la rectocolite ulcéro-hémorragique, deux pathologies liées à un dysfonctionnement du système immunitaire intestinal. Elles se caractérisent par des poussées inflammatoires chroniques de la paroi du tube digestif, provoquant des douleurs abdominales, des diarrhées fréquentes, parfois sanglantes, ou encore une atteinte de la région anale (fissure, abcès). Selon les derniers chiffres de l’asbl Crohn-RCUH, la Belgique compte environ 20.000 patients atteints de Crohn, et 10.000 de rectocolite.

« Jusque dans les années 70, ces pathologies étaient peu fréquentes. Depuis, on constate de plus en plus de cas. Ces maladies touchent davantage les pays industrialisés, et leur incidence augmente avec le niveau de développement socio-économique », expose la Dre Reenaers.

Une autre pathologie chronique digestive en augmentation est la maladie cœliaque, plus connue sous le nom d’« intolérance au gluten ». La consommation de cette protéine entraîne chez certains individus une réaction immunitaire anormale, conduisant à une inflammation de la paroi intestinale. « Sa prévalence a, quant à elle, doublé en Finlande, et quintuplé aux États-Unis », indique la gastro-entérologue.

Incidence et prévalence combinée de la maladie de Crohn et la rectocolite ulcéro-hémorragique – Cliquez pour agrandir

Fast-food, soda, barre chocolatée… L’intestin mis à rude épreuve

La maladie cœliaque, tout comme les MICI, sont multifactorielles. En déterminer précisément l’origine est dès lors compliqué. Néanmoins, la manière dont nous nous alimentons pourrait favoriser leur émergence, et expliquer la hausse des cas que l’on observe aujourd’hui.

Concernant la maladie cœliaque, cela serait corrélé à l’augmentation de l’ingestion de gluten contenu dans plusieurs aliments de base, comme le pain, les céréales, le couscous, les pâtes, etc. « Indépendamment de la qualité du gluten dans ces produits, il est clair qu’on en mange beaucoup trop. Or, selon une étude de 2019 sur 6.605 enfants génétiquement prédisposés à la pathologie, une consommation plus élevée de gluten au cours des 5 premières années de vie est associée à un risque accru de développer la maladie », informe la Dre Reenaers.

En général, consommer des produits riches en sucre, en graisse, en gluten, en taurine, et contenant de nombreux additifs alimentaires (les « E » suivis de 3 chiffres sur les étiquettes), comme des émulsifiants – que l’on trouve notamment dans le chocolat, la viande transformée, ou les crèmes glacées – affecte notre santé intestinale.

« Ce type de régime peut induire une dysbiose, un déséquilibre au sein de la flore intestinale, tout en favorisant des bactéries plutôt pro-inflammatoires. Cela va, en outre, altérer la qualité et la production du mucus intestinal, augmentant indirectement sa perméabilité, et donc favoriser l’émergence de certaines pathologies digestives », explique la gastroentérologue.

Concernant les MICI, « il a bien été démontré que la consommation de sucre raffiné et de soda entraîne un risque accru de rectocolite. Quant aux régimes riches en graisses, en viandes rouges, et contenant beaucoup d’acides gras oméga-6, ils sont associés à un plus grand risque de développer une rectocolite et la maladie de Crohn. »

Récemment, une étude sur des rongeurs a mis en évidence que la carboxyméthylcellulose (CMC ; E466) et le polysorbate 80 (P-80 ; E433), deux types d’émulsifiants largement utilisés dans le secteur agroalimentaire, augmentent le risque de rectocolite chez les souris génétiquement prédisposées. « Les résultats montrent clairement un effet délétère de ces molécules sur l’intestin, avec un impact direct sur le microbiote, en favorisant les bactéries pro-inflammatoires. Ce qui est l’un des mécanismes par lequel la colite va survenir.»

Incidence de la colite chez la souris en cas de consommation de deux émulsifiants versus consommation d’eau © E. Viennois et al. – Cliquez pour agrandir

Pas de recette miracle pour les MICI

Même si d’autres facteurs favorisent l’apparition des MICI (facteurs génétiques, prise d’antibiotiques, pollution, tabac, etc.), il semble clair que l’alimentation moderne joue un rôle dans leur émergence. Peut-on dès lors envisager de les « soigner » par l’alimentation ? Pour la Dre Reenaers, la réponse est claire :
« Aucun régime d’éviction ou de supplémentation ne va influencer le devenir de ces maladies. Bien qu’il ait été démontré que le curcuma peut diminuer le risque de cancer du côlon, il n’a pas d’effet spécifique sur les MICI. En réalité, quand la barrière intestinale est altérée, il est assez difficile de faire marche arrière. En matière d’alimentation, on conseille donc de manger sainement, d’éviter les aliments transformés et les boissons contenant des sucres ajoutés ». Et il en va de même pour prévenir le développement de ces maladies.

À noter que la consommation de fruits et légumes et d’aliments riches en acides gras oméga-3 a un effet plutôt protecteur. « Il est vrai que la consommation de fibres, et plus spécifiquement de fruits, peut diminuer de 40% le risque de développer la maladie de Crohn », témoigne la Dre Reenaers.

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