Le télescope "extrêmement grand" européen, EELT, sera implanté dans le désert d'Atacama au Chili. © ESO
Le télescope "extrêmement grand" européen, EELT, sera implanté dans le désert d'Atacama au Chili. © ESO

Avec l’EELT, l’Europe a des appétits “astronomiques”

21 août 2014
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 5 minutes

Série (3/3) La tête dans les étoiles

 

En astronomie, question télescopes, on aime voir grand. Les Européens de l’Observatoire Européen du Ciel Austral, l’ESO (dont la Belgique, un des Etats fondateurs, est membre via la Politique scientifique fédérale), disposaient déjà du VLT: le Very Large Telescope (voir Daily Science du 4 août). Implanté dans le désert d’Atacama, au Chili, cette machine astronomique compte quatre (très) grands télescopes, de 8 mètres de diamètre chacun.

 

Cette année, au début de l’été (en Belgique, soit l’hiver dans l’hémisphère sud), l’ESO a donné, toujours au Chili, les premiers coups de pioches de son nouveau projet: l’EELT. L’European Extremely Large Telescope sera la plus imposante machine à observer le ciel jamais réalisée.

 

Exoplanètes en vue

 

Cet “Extrêmement grand télescope européen” sera planté au sommet de la montagne Cerro Armazones, à 3060 mètres d’altitude et à 20 km du VLT.
Son miroir principal affichera un diamètre de… 39 mètres. Du jamais vu. Le colosse pèsera plus de 5000 tonnes et, sans aucun doute, bien plus que le milliard d´euros annoncé.

 

Grâce à lui, les astronomes européens espèrent observer en direct des exoplanètes de la taille de la Terre. Aujourd’hui, ils n’en détectent qu’indirectement la signature selon les techniques de la vitesse radiale ou du changement d’éclat de leur étoile lors « d’éclipses ». Ce n’est bien sûr qu’un exemple de ce que ce géant, porté par l’ESO, devrait pouvoir étudier. On le présente comme le télescope le plus puissant au monde. Il devrait collecter 15 fois plus de lumière que le VLT.

 

Une bonne affaire pour les astronomes? Nous avons posé la question au Pr Jean-Pierre Swings, astrophysicien (honoraire) de l’Université de Liège. Le Pr Swings avait naguère présidé le comité de l’ESO qui était chargé d’évaluer les différents sites d’implantation potentiels pour le VLT.

 

 

INTERVIEW
Pr Swings, un télescope de 39 mètres de diamètre, c’est la limite du raisonnable?
Techniquement, je n’en suis pas certain. Lors des premiers projets de l’ESO, on parlait d’un « overwhelming large telescope », un télescope encore plus démesuré, de l’ordre d’une centaine de mètres de diamètre pour le miroir principal. D’un point de vue budgétaire cependant, un 39 mètres semble être la limite aujourd’hui.

 

Comment construit-on un miroir de 39 mètres? Et surtout comment le transporte-t-on d’Europe vers le Chili?

 

Il ne s’agit pas d’un miroir monolithique, comme ceux de 8 mètres qui équipent le VLT. Dans le cas de l’EELT, on utilisera la technique du miroir segmenté. En réalité, le grand miroir de l’EELT sera composé d’un ensemble de petits miroirs hexagonaux posés les uns à côté des autres. Au total, 798 miroirs hexagonaux de 1,45 mètre de diamètre formeront le miroir principal de l’EELT. Ce design permet donc de fabriquer et d’expédier les diverses composantes du futur télescope au sommet du Cerro Armazones.
Il est toutefois à noter que le miroir secondaire de l’EELT sera quasi équivalent au miroir principal du VLT. Et celui-là sera monolithique.

 

Parmi les ambitions que nourrissent les astronomes pour l’EELT, on retrouve la possibilité d’observer le ciel dans sa composante infrarouge. Un miroir segmenté n’est-il pas techniquement incompatible avec cette volonté?

 

On peut en effet craindre que les interstices entre les miroirs hexagonaux amènent du “bruit” dans les images, c’est-à-dire qu’ils causent un effet parasite. Mais des expériences précédentes ont montré que ce problème pouvait être réglé. Un autre ennemi des astronomes pour les observations dans l’infrarouge, c’est la vapeur d’eau. Dans l’Atacama, un des déserts les plus secs de la planète, ce problème est également réduit à sa plus simple expression. Les observations dans le proche infrarouge seront donc parfaitement possibles.

 

A l’heure des télescopes spatiaux, qui s’affranchissent notamment de ces problèmes liés à notre atmosphère, cela a-t-il encore un sens de construire de gigantesques télescopes sur Terre?

 

Il y a une complémentarité totale entre ce qui se fait au sol et les télescopes dans l’espace.
Au sol, les ingénieurs et les astronomes ont développé des technologies qui compensent par exemple les turbulences atmosphériques pour obtenir des images les plus précises possible des objets astronomiques qu’ils étudient. On parle de technique d’optique active ou adaptative. Au sol, on est essentiellement tenu au rayonnement visible.
Dans l’espace, quand on se trouve hors de l’atmosphère, les télescopes peuvent observer dans des longueurs d’onde inaccessibles sur Terre comme les rayonnements X, gamma ou encore l’infrarouge lointain.
Par contre, dans l’espace, nous sommes limités en ce qui concerne la taille des miroirs des télescopes. Hubble fait deux mètres de diamètre. Son successeur, le télescope James Webb, aura un miroir principal segmenté de 6,5 mètres de diamètre. Il doit être envoyé dans l’espace en 2018. Ces outils sont complémentaires à plus d’un titre. Ils ouvrent différentes fenêtres sur l’Univers.

 

Le VLT est situé dans l’hémisphère sud. Le futur EELT le sera lui aussi. Les astronomes ne s’intéressent-ils donc plus à l’hémisphère nord?

 

La raison pour laquelle les Européens ont décidé d’investir dans l’hémisphère sud, c’est parce qu’ils s’étaient rendu compte que les Américains étaient déjà très présents dans l’hémisphère nord. De plus, dans l’hémisphère sud, on a accès aux Nuages de Magellan et au centre galactique. Pour faire de l’astronomie de pointe, les Européens devaient viser le Sud. Et à l’époque, il n’y avait quasiment rien comme qrands observatoires astronomiques dans l’hémisphère sud.
Par ailleurs, les Américains ont un projet de télescope de 30 mètres dans l’hémisphère nord. Et l’an prochain, en 2015, lors de la réunion de l’Union astronomique internationale à Hawaii, les pays du “Pacific rim” (Etats-Unis, Chine, Japon, Indonésie, etc.) devraient discuter d’un nouveau projet de très grand télescope. Reste à savoir où ils comptent l’installer. Dans le nord, sans doute. Mais où? Rendez-vous en 2015.

 

 

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