Au 18e siècle, les dragons étaient wallons

21 septembre 2022
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 4 min

« On aurait tort de croire que notre histoire, celle des Belges, ne commence qu’en 1830. Au XVIIIe siècle, même si nous n’étions pas formellement indépendants, nos régions se trouvaient dans un grand ensemble, l’Empire d’Autriche, au sein duquel elles avaient beaucoup d’autonomie. Des Belges, majoritairement des Wallons, se sont engagés volontairement dans l’armée des Habsbourg. Ces Dragons wallons se sont illustrés lors de la guerre des Sept Ans (1756-1763). Leurs régiments vécurent trois quarts de siècle et leur réputation, reconnue par toute l’Europe, fut très haute.», explique Pr Bruno Colson, historien et expert en stratégie militaire. Il est le commissaire de l’exposition « La gloire des Wallons », présentée jusqu’au 5 décembre à la Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin (BUMP) de l’UNamur.

Territoire de l’Empire d’Autriche au 18e siècle © Laetitia Theunis

Un territoire morcelé

Au XVIIIe siècle, les Habsbourg d’Autriche, en particulier Marie-Thérèse (dont le règne fut très long), étaient nos souverains légitimes.

« Les différentes régions qui formeront plus tard la Belgique (sauf la principauté de Liège qui, tout comme les Pays-Bas actuels, faisait partie de l’Empire romain germanique) étaient alors incluses dans une zone dénommée les Pays-Bas catholiques (différente du territoire des Pays-Bas actuels, NDLR). Il s’agissait d’un regroupement de principautés, de duchés, de comtés, domaines épiscopaux qui étaient assez libres mais qui se choisissaient un Empereur. Celui-ci était donc élu. Son pouvoir était toutefois assez limité sur les différentes entités qui restaient très autonomes, et qui avaient leur propre armée », explique Pr Colson.

 

Wallons mais pas que

Des régiments ont été recrutés dans nos régions. Ils ont été intégrés à l’armée autrichienne en 1725, et portaient l’uniforme autrichien mais avec une identité propre.

A cette époque, la Wallonie n’existait pas encore. Mais les locuteurs d’un dialecte gaulois étaient désignés par le terme « wallon ». Si des Flamands et des Bruxellois ont également intégré ces régiments, ils étaient minoritaires par rapport aux Wallons. C’est ainsi que l’on a désigné ces régiments comme étant des régiments wallons.

« Ils étaient composés d’engagés volontaires, de militaires professionnels. Souvent, ils s’enrôlaient car ils n’avaient pas d’autres possibilités d’emploi, mais d’autres le faisaient par idéal. Tous se battaient pour leur souverain. Il ne s’agissait donc pas de mercenaires. »

Composition d’un régiment d’infanterie © Laetitia Theunis

Stratèges hors pair

En 1756, le roi de Prusse Frédéric II envahit la Silésie, possession des Habsbourg, dans le but de l’intégrer à son territoire.

« Au début de la guerre, à Kolin, qui se trouve en Bohème, à une soixantaine de kilomètres de Prague, les Dragons wallons se font remarquer pour la première fois. Alors qu’on les prenait pour des blancs-becs, ils chargent au moment décisif de la bataille et repoussent les Prussiens sur les hauteurs. De la sorte, ils ont joué un rôle essentiel dans la victoire de l’Autriche et ont sauvé la monarchie habsbourgeoise. Ce fut le début de leur réputation militaire », explique Pr Colson.

« Les Dragons wallons sont des cavaliers, souvent habillés en vert, et qui ont un rôle d’infanterie montée. C’est-dire que, armés d’un mousquet, ils peuvent se battre à pied quand c’est nécessaire. Mais ils font toutefois partie de la cavalerie dite lourde, comme les cuirassiers. »

Dragon wallon © Laetitia Theunis

« Suite à leurs faits d’armes à Kolin, Marie-Thérèse d’Autriche accorde des privilèges aux régiments des Dragons wallons. Ces privilèges vont subsister longtemps après son décès (1780). Si bien que pendant la Première Guerre mondiale, le régiment des Dragons, héritier des Dragons wallons, sera le seul de la cavalerie autrichienne (pour rappel, ce n’est qu’en 1919 que l’Empire d’Autriche-Hongrie éclate) à avoir pu garder son étendard. »

Le dernier signe encore visible aujourd’hui des privilèges accordés aux Dragons wallons est sis à Vienne. Dans l’église des Augustins, à côté du palais impérial, trône une statue érigée à la gloire du régiment des Dragons, héritier des Dragons wallons, et porte leur étendard. Dessus, il est écrit en français « Qui s’y frotte, s’y pique », la devise de ce régiment devenu le plus célèbre de la cavalerie de l’armée autrichienne.

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