Le moulage de la tête de Shri rapax réalisé à partir de CT scans ©Thierry Hubin / Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique

Découverte d’un cousin du Raptor à la poigne redoutable

21 octobre 2025
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Il y a plus d’un siècle, la découverte de Velociraptor mongoliensis dans la partie nord-ouest du désert de Gobi (Mongolie) révélait au monde l’existence de féroces petits dinosaures, ancêtres des oiseaux modernes. Aujourd’hui, la même région livre un nouveau membre de cette famille. Une équipe internationale, incluant des scientifiques de l’Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB), décrit dans une récente publication le squelette très bien conservé d’un spécimen qu’elle rattache à une nouvelle espèce : Shri rapax. Comme Velociraptor mongoliensis, ce prédateur mesurait environ deux mètres de la tête à la queue. Il était toutefois plus massif que son célèbre cousin, et possédait une arme puissante à portée de main : un pouce doté d’une griffe de 8 centimètres.

Le squelette fossile de Shri rapax en 2010 quand la tête originale était encore présente © Thierry Hubin / Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique

Un fossile au parcours tumultueux

Précisons d’emblée que le fossile a été découvert de manière inhabituelle, loin des chantiers de fouilles. Exhumé illégalement en Mongolie il y a plusieurs années, le squelette a circulé sur le marché noir, avant d’être revendu à des collectionneurs privés au Japon et en Europe. C’est finalement la société française de ventes de fossiles Eldonia qui en a pris possession et en a informé l’IRSNB en 2016.

« Ce spécimen était exceptionnellement complet et articulé, il manquait juste le bas des pattes », fait savoir Pascal Godefroit, paléontologue à l’ISNB. Les scientifiques décident à l’époque de photographier et de réaliser un scanner du crâne et des quatre premières vertèbres cervicales, permettant d’examiner les structures internes. Bien leur en a pris, car le crâne a ensuite disparu après son retour en France.

Dans cette nouvelle étude, débutée en 2024, les paléontologues ont entrepris de reconstruire un modèle 3D complet du dinosaure et de décrire sa morphologie.

Le squelette fossile en 2024 sans la tête perdue en 2016 © Thierry Hubin / Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique

Un double panel d’armes

Cette espèce se distingue du Raptor de Mongolie par un crâne plus massif, une mâchoire plus puissante, un cou plus long, « et des mains et des bras particulièrement robustes », précise Léa Moutrille, qui a piloté cette étude dans le cadre de son mémoire de master à l’Université de Poitiers (France).

« Une particularité du groupe des Raptors est la présence d’une longue griffe au second orteil de chaque pied », rappelle Pascal Godefroit, promoteur du mémoire. Une véritable faucille qui leur servait à lacérer leur proie. « Shri rapax en était aussi pourvu et possédait, en plus, une griffe plus imposante aux mains, d’environ 8 centimètres de long, particulièrement redoutable. »

Ces différentes caractéristiques laissent supposer que ce prédateur était capable de maintenir fermement ses proies avant de les achever à coups de morsures répétées. Il chassait aussi probablement de plus grands animaux que Velociraptor mongoliensis.

Main droite de Shri rapax © L. Moutrille et al. (2025)

Un squelette allégé comme un oiseau

« Une autre spécificité de l’espèce est la présence de pneumatisations sur certaines vertèbres cervicales. Ces petites cavités, également observées chez les oiseaux, allègent le squelette, renforçant ainsi le lien étroit entre Raptors et oiseaux », relève Léa Moutrille. En outre, bien qu’aucune trace n’ait été conservée sur les ossements, Shri rapax portait vraisemblablement un plumage.

« Chez un Raptor trouvé dans la même région, on a observé des bosses sur les os de l’avant-bras, correspondant à des traces d’insertion de plumes. Il n’y a aucune raison de penser que son cousin, Shri rapax, n’en avait pas aussi », soutient Pascal Godefroit. « En revanche, ses bras étaient trop courts et son corps trop lourd pour lui permettre de voler. »

Pascal Godefroit avec Shri rapax avant le retour du spécimen en Mongolie ©Reinout Verbeke / Institut royal des Sciences Naturelles de Belgique

La science face au marché du dinosaure

Si cette analyse fournit des informations précieuses sur la diversité des dinosaures qui ont peuplé la Terre, l’étude a aussi suscité quelques débats dans la communauté des paléontologues. « Par principe, beaucoup refusent d’examiner des ossements mis au jour illégalement. Dans l’absolu, c’est effectivement discutable, car cela valide indirectement le trafic de fossiles. En plus, comme la fouille n’a pas été dirigée, certaines informations sont perdues. Dans ce cas-ci, on ne sait pas exactement où le spécimen a été trouvé », reconnaît Pascal Godefroit.

« Mais d’un point de vue pragmatique, peut-on vraiment ignorer ce type de pièce exceptionnelle ? De nos jours, une grande part des fossiles de dinosaures transite sur le marché privé. Ce qui est important, c’est de s’assurer que le matériel étudié n’appartienne plus à un propriétaire susceptible de la revendre avec une ‘plus-value’, après validation scientifique.»

Ici, la situation est claire : après des négociations entre Eldonia, les paléontologues et les autorités mongoles, les restes de Shri rapax sont aujourd’hui en voie de restitution à l’Institut de paléontologie de l’Académie des sciences de Mongolie.

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