Partout, des quartiers de grandes tours se construisent dans les métropoles européennes. C’est une nécessité pour l’urbaniste Philippe Samyn. L’architecte, ingénieur civil des constructions, présente des arguments convaincants, chiffrés, dans son essai «La ville verticale» paru dans la collection «L’Académie en poche».
«Il est raisonnable et économiquement viable d’organiser toutes les activités d’une nouvelle petite ville dans des structures verticales, reliées par des ponts, pour affecter le sol ainsi libéré aux loisirs de plein air, à l’agriculture et à la biodiversité. Ces petites villes assemblées en grappes forment ensuite les grandes villes polycentriques. Leur construction coûterait de l’ordre de 10 à 15 milliards d’euros. Et les fonds nécessaires seraient levés par souscription. Leurs frais de fonctionnement et de maintenance devraient être inférieurs à ceux de nos villes actuelles. Elles doivent se construire rapidement, en 5 à 10 ans, à l’instar des villes nouvelles chinoises, pour éviter les désagréments que provoquent les chantiers urbains trop longs.»
Réaffecter intelligemment le territoire
Le développement des villes européennes a fait émerger des quartiers verticaux comme le quartier Nord à Bruxelles ou La Défense à Paris. Mais où bâtira-t-on de nouvelles villes verticales? Pour le membre de la Classe des Arts de l’Académie royale de Belgique, il ne s’agit surtout pas de coloniser les espaces verts.
«Nos villes actuelles regorgent de zones industrielles disponibles et de vastes territoires ferroviaires, voire aéroportuaires, sur lesquels certains quartiers verticaux se sont d’ailleurs déjà développés. À côté de ces friches, il y a aussi les vastes banlieues, avec leur habitat pavillonnaire, qui se sont développées à partir des années 1950. Elles sont financièrement insoutenables à terme tant pour la collectivité que pour les habitants eux-mêmes.»
Une ville de 43 tours cylindriques
Philippe Samyn propose un modèle théorique pour une nouvelle ville verticale de 30.000 habitants. En complément de la ville possible du même nombre d’habitants qu’il a imaginé lorsque Marcel Crochet et Raymond Lemaire lui ont confié, avec l’accord du conseil d’administration de l’Université Catholique de Louvain, l’étude du développement ouest de Louvain-la-Neuve. Soit l’édification de 43 tours cylindriques de 34 m de diamètre en moyenne. La tour centrale serait entourée de 3 quartiers triangulaires qui formeraient un hexagone. Le regroupement de plusieurs de ces territoires hexagonaux formerait des villes de 120.000, 210.000, 390.000, 570.000 habitants. Voire une grappe de 37 cités hexagonales de 30.000 habitants qui correspond approximativement à la population de la Région de Bruxelles-Capitale.
Toutes les activités urbaines seraient concentrées dans ces tours élargies à 48 m de diamètre sur les 10 premiers niveaux pour permettre des parkings accessibles partiellement aux poids lourds. Sol et sous-sol ne seraient plus encombrés. Des réseaux horizontaux transporteurs de personnes, de biens, de matière, d’énergie et d’informations passeraient par des ponts haubanés entre les tours. Plus haut que la cime des arbres, on se déplacerait de tour à tour vers des batteries d’ascenseurs. À vélo ou sur des tapis roulants, à l’abri de la pluie et du vent.
Dans le sens de l’évolution
Comme l’exemple probant de ville verticale manque en Europe, il n’est pas évident d’évaluer l’engouement ou le rejet que provoquerait un tel projet. «La démographie s’invite aussi dans la réflexion», relève l’académicien. «Elle est à mettre en regard avec l’évolution de nos mœurs et l’inquiétude relative à l’économie. Beaucoup des logements près du sol construits à partir de 1945, tout comme le capital financier et industriel, sont la propriété de seniors et ont vieilli avec eux. Ils sont difficiles à transmettre, en l’état, aux générations suivantes et reflètent en outre des valeurs passées très éloignées des leurs.
La loi du marché induira naturellement l’acceptation pragmatique de la ville verticale. Son acceptation culturelle découlera probablement de l’évolution de la société sous la troisième révolution culturelle en nanoscience, biologie, informatique et sciences cognitives.»