Remplacer l’or noir par l’or vert: une mauvaise bonne idée

21 novembre 2017
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

«L’or vert», le documentaire d’investigation de Sergio Ghizzardi, nous plonge dans la bataille des biocarburants. Le tournage s’est déroulé de 2008 à nos jours. Le réalisateur a rencontré des partisans, des adversaires et des victimes. En Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Argentine, Indonésie, Finlande et en Italie. La RTBF a coproduit ce long métrage. Le Centre du cinéma et de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Vlaams Audiovisueel Fonds, le Programme média de l’Union européenne l’ont parrainé.

«J’ai très vite saisi qu’avec les biocarburants, on peut comprendre quels sont les enjeux politiques, comment ils s’inscrivent dans une réalité économique», nous dit Sergio Ghizzardi qui aime entrer au cœur des luttes de pouvoir. «Remplacer l’or noir par l’or vert, c’est une mauvaise bonne idée. Cette recherche de matières premières alternatives mène à des catastrophes environnementales et sociales.»

Sacrifier le comestible au combustible

Le documentariste commence son périple à Bruxelles en s’intéressant aux institutions européennes, centre des luttes d’influence autour des biocarburants. Selon le Liégeois Marc-Olivier Herman, responsable international de la campagne sur les biocarburants pour Oxfam, les lobbyistes du biocarburant y ont la même force de frappe que le lobby du tabac.

Puis, Sergio Ghizzardi suit la trace de protagonistes prêts à miser gros pour produire l’or vert. Il écoute ceux qui combattent farouchement les biocarburants. Ceux qui souffrent de leurs conséquences.


Selon les producteurs, les distributeurs d’essence et de diesel, seul un or vert bon marché peut rivaliser avec le pétrole. Ce bioéthanol ou biodiesel de la 1re génération est obtenu généralement à partir du blé, soja, maïs, colza, de l’huile de palme.

Le port de Rotterdam est la porte d’entrée européenne pour les agrocarburants. Deux pays sont champions de l’or vert à bas prix. L’Indonésie transforme des milliers d’hectares en plantations d’huile de palme. Elle est au cœur du processus de déboisement en Asie du Sud-Est. En Argentine, des milliers d’hectares de forêt tropicale disparaissent pour planter du soja transgénique. Le paysan Rafael Galvan se confie au documentariste, témoin de la déforestation et du désespoir des fermiers. Tous les moyens sont bons pour s’emparer de leurs terres et de celles des éleveurs. Son frère a été assassiné par des voisins à la solde de grands propriétaires alliés aux multinationales agroalimentaires.

Blocage au Parlement européen

Au Parlement européen, le 13 novembre 2013, il manque une voix pour l’adoption du rapport présenté par Corinne Lepage sur l’énergie renouvelable et l’intégration des changements d’affectation des sols à usage alimentaire dans le calcul des émissions de CO2 pour les biocarburants. «Que les parlementaires reçoivent les lobbys pour bien comprendre l’impact de ce qu’ils vont voter, c’est tout à fait normal», juge l’ancienne ministre française de l’Environnement dépitée. «Mais quand des parlementaires deviennent les défenseurs et les porte-parole des lobbyistes, ce n’est plus normal.»

L’huile de pin, le nouvel or vert

À Lappeenranta, dans le sud-est de la Finlande, l’huile de pin est le nouvel or vert. Ce résidu de pulpe de papier sert de matière première pour fabriquer un biodiesel aux mêmes propriétés que le diesel, mais sans les particules qui polluent les centres urbains. Un exemple de ces biocarburants de la 2e génération créés à partir de déchets forestiers, agricoles ou d’huiles usagées. Leurs producteurs se battent pour entrer dans le marché européen. Sans soutien, sans subside, sans quota, ils ne sont pas compétitifs. Les géants des carburants de la 1re génération dictent leur loi. Selon un rapport de la Commission européenne, rendu public sous la pression d’ONG, le biodiesel émet plus de CO2 que le diesel…

Le remède serait-il pire que le mal? Existe-t-il une vraie bonne idée? «La rigidité des systèmes politiques et le trafic d’influence freinent tout changement», estime Sergio Ghizzardi. «Contre l’or noir, ce n’est pas l’or vert qu’il faut exploiter, mais une multiplicité de solutions vertes. Le temps presse.»

Sortie du film le 22 novembre à Bruxelles. Première avec débat au cinéma Aventure à 20h. En présence du réalisateur et des associations partenaires. Une tournée sera effectuée en Wallonie de novembre 2017 à avril 2018.

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