Notre cerveau est plastique. Il est capable de réorganiser sa structure et les connexions entre ses neurones. Si le cerveau est particulièrement malléable dans l’enfance, rien n’y est jamais figé. La plasticité cérébrale s’opère de cette façon jusqu’à la mort. Et ce, chez toutes les espèces animales.
Ce mécanisme est au cœur des travaux d’Olivier Collignon, qui bénéficie depuis 2014 d’une bourse du Conseil Européen de la Recherche. Les dernières études de ce chercheur qualifié FNRS en neurosciences cognitives à l’UCLouvain ont récemment permis de confirmer que la plasticité répond bien à l’expérience vécue et à l’apprentissage de l’individu. Mais qu’elle reste conditionnée par des fonctions innées du cerveau.
La perte de sens est compensée par le cerveau
Certains lobes du cerveau sont prédisposés à traiter certaines informations sensorielles. C’est le cas du cortex occipital qui traite l’information visuelle. Cette région cérébrale est très organisée et est découpée en plusieurs sous-régions dites fonctionnelles. Certaines ont ainsi pour fonction d’analyser les visages, d’autres les objets et d’autres encore, les couleurs.
« On dit que ce cortex possède une certaine organisation fonctionnelle innée, car nous utilisons notre vision, même de façon assez rudimentaire, dès le 1er jour de vie. Et le cerveau traite déjà certaines informations en priorité. Aussi, il apparaît que les bébés s’orientent préférentiellement vers des formes qui ressemblent à des visages » stipule le Dr. Collignon.
Les scientifiques ont longtemps pensé que le cortex occipital était programmé dès la naissance pour réaliser uniquement des tâches visuelles. Mais il a depuis été démontré qu’en l’absence d’information visuelle, ce lobe est tout à fait capable de se réorganiser. C’est ce qu’on appelle la plasticité transmodale.
« En cas de cécité, même provisoire, on constate que les régions normalement considérées comme visuelles vont se réorganiser et traiter des informations auditives ou tactiles. Les personnes aveugles développeront à terme de meilleures capacités auditives et tactiles que les voyants. Le même mécanisme de compensation se note chez les personnes sourdes. C’est alors le cortex temporal qui se réorganise pour traiter, non plus des informations sonores, mais bien visuelles ou tactiles » développe le fondateur du CPP-LAB (Crossmodal Perception and Plasticity Laboratory), consacré en partie à l’étude de cette plasticité compensatoire.
Les dernières recherches du laboratoire mettent en évidence que cette plasticité ne se fait pas au hasard, mais déterminée par les fonctions innées des régions cérébrales.
Une plasticité sous contraintes
« Nos recherches indiquent que les sous-régions fonctionnelles maintiennent plus ou moins leurs fonctions innées chez les personnes sourdes ou aveugles. Elles continuent à jouer leur rôle tout en l’appliquant à une autre modalité sensorielle », confirme le Dr. Collignon.
« La sous-région V5, par exemple, s’active initialement lorsque l’on observe un objet ou une personne en mouvement. Chez la personne aveugle, elle répond à des sons, mais préférentiellement à des sons… en mouvement ! ».
Cela se remarque dans la plupart des sous-régions : celle qui analyse les mots chez le voyant s’activera quand le non-voyant lira le braille ; celle qui analyse la forme des objets sera stimulée quand la personne aveugle touchera des objets, etc.
« Des résultats similaires se notent chez les personnes sourdes. La sous-région dédiée aux traitements du langage oral deviendra notamment impliquée pour ceux de la langue des signes » précise le chercheur.
En résumé, même si la plasticité cérébrale peut réorganiser les lobes du cerveau, ses principes fonctionnels vont la contraindre à s’exprimer d’une certaine façon.
La plasticité du cerveau a aussi ses limites
Dans une vision plus appliquée, ces résultats permettent de mieux prédire les effets d’une éventuelle restauration sensorielle chez la personne sourde ou aveugle.
« Serait-il possible de récupérer le sens à 100% suite aux modifications structurelles et fonctionnelles mises en place par la plasticité ? A priori, non. Nous suggérons, dans nos travaux, que la plasticité est à double tranchant. Elle permet, certes, au cerveau de s’adapter à la perte d’un sens mais, en cas de chirurgies de restauration, elle serait susceptible d’entraver la capacité du cerveau à traiter à nouveau ces informations sensorielles ».
Après la chirurgie d’implant cochléaire, les personnes sourdes restent malentendantes, potentiellement en raison de la réorganisation du cerveau durant la période de surdité. La plasticité n’est donc ni aléatoire, ni un mécanisme illimité.
Ce qui n’est pas non plus une mauvaise chose, comme l’explique le Dr. Collignon:
« Le cerveau va, au cours de son développement, fixer ses routines cognitives, motrices, perceptives. Des routes que nous savons essentielles à notre bon fonctionnement. Même si nous ne les connaissons pas (encore) toutes. »
« Le cerveau est probablement l’objet d’étude le plus complexe auquel l’Homme n’a jamais fait face. Nous avons des millions de neurones, qui établissent eux-mêmes des milliers de connexions synaptiques. Il y a plus de connexions dans le cerveau que de particules élémentaires dans l’Univers. Nous sommes à des années-lumière de comprendre comment ce réseau fonctionne ».
« La neuroscience cognitive reste toutefois une science jeune, développée avec l’avènement des techniques d’imageries cérébrales dans les années 90. Les IRM fonctionnelles permettent de « cartographier » ces fonctions cognitives, et elles sont aujourd’hui de plus en plus précises » conclut Olivier Collignon.