Les maladies tropicales infectieuses sont à nos portes. Cet été, les moustiques tigres ont été sur le devant de la scène. Ces vecteurs des virus Zika, de chikungunya, de la dengue se retrouvent de plus en plus souvent dans notre pays. La faute au climat qui se réchauffe. Et d’ici la fin de ce siècle, c’est la bilharziose que l’on risquera de contracter lors d’une baignade dans un lac ou une rivière du sud de l’Europe. Cette prévision est le résultat de travaux en parasitologie menés par des scientifiques de l’AfricaMuseum, de la KU Leuven et de l’Université de Copenhague.
À trois, sinon rien
Avec quelque 200 millions d’individus infectés chaque année, la bilharziose est la plus importante maladie parasitaire au monde après le paludisme. Pour qu’elle s’installe, elle a besoin que 3 éléments soient présents sur le même site : le parasite – un ver trématode dénommé Schistosoma -, un hôte intermédiaire – un escargot d’eau douce particulier -, et un hôte final, l’humain.
A noter qu’il existe plusieurs espèces de schistosomes pouvant causer la maladie chez l’homme : Schistosoma mansoni et Schistosoma haematobium en Afrique, et Schistosoma japoniccum en Asie. Seule l’espèce Schistosoma haematobium est prise en considération dans l’étude . Ce trématode a besoin d’un mollusque d’eau douce particulier appelé Bulinus.
À l’heure actuelle, les voyageurs qui ramènent en Europe le parasite africain de la bilharziose ne constituent pas un problème, car cet escargot n’est pas encore présent dans l’Union. Excepté dans de petites enclaves. En effet, depuis 2013, il est présent, ainsi que le parasite tropical, dans la rivière Cavu dans le sud de la Corse. Et plus récemment, ils ont été tous deux découverts dans la province espagnole d’Almeria. L’étude prédit que leur expansion géographique européenne va aller crescendo au cours de ce siècle.
Des mollusques mis au chaud
La gamme de températures dans laquelle le parasite de la bilharziose urinaire peut vivre et survivre est bien connue du monde scientifique. Par contre, cette donnée cruciale manquait concernant hôte intermédiaire, le mollusque Bulinus . En effet, le potentiel d’adaptation de ces escargots est un facteur critique pour déterminer comment le changement climatique peut influencer la géographie et la dynamique de transmission de la bilharziose.
Pour remédier à ce manquement, les chercheurs ont collecté dix populations d’escargots Bulinus dans trois zones climatiques différentes: au Sénégal, au Zimbabwe et en Corse. « Au laboratoire, nous les avons placés à différentes températures et avons étudié leurs réponses à ce stress, le nombre d’œufs pondus, la croissance des juvéniles, leur taux de fécondité et leur taux de survie », explique Dre Tine Huyse, chercheuse en parasitologie au sein du département de biologie de l’AfricaMuseum. « Résultats ? Leurs adaptations thermiques sont évidentes et leur permettront, à cause du réchauffement climatique, de coloniser de nouvelles régions vers le nord. » Notamment le sud de l’Europe.
Couplage de deux approches de modélisation
Ces nouvelles données ont ensuite été compilées avec celles de la littérature scientifique et ont été utilisées dans deux méthodes de modélisation.
Les modèles corrélatifs sont excellents pour prédire la distribution des espèces dans les climats actuels. « Ils permettent de tirer pleinement parti des données empiriques d’occurrence existantes et expliquent la distribution actuelle des escargots Bulinus », selon Tim Maes, doctorant (KU Leuven), qui a mené les expériences.
D’autre part, les modèles mécanistes permettent de tirer parti des nouvelles données expérimentales disponibles. Ils sont davantage fiables pour prédire le futur que les modèles corrélatifs.
« La combinaison de ces deux types de modèles, corrélatifs et mécanistes, permet d’augmenter la robustesse des prévisions de la distribution future du mollusque », poursuit Dre Huyse.
De l’importance de ne pas souiller l’eau douce
En particulier, les projections suggèrent une extension de l’aire de répartition mondiale de l’escargot de 17 %. Principalement dans le sud de l’Europe et en Afrique centrale.
Dès lors, la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce connaîtront beaucoup plus des cas d’infections locales de bilharziose d’ici la fin de ce siècle. Du moins, si les ingrédients nécessaires à celles-ci y seront présents : le parasite, l’escargot (hôte intermédiaire) et l’humain (hôte final).
« Le comportement humain est donc un facteur important! En effet, lorsque des humains contaminés urinent (ou défèquent) dans les étangs, lacs ou rivières, des œufs de schistosome sont libérés par inadvertance. Ceux-ci infectent les mollusques Bulinus présents au sein desquels ils se développent et se multiplient, puis quittent l’escargot. Ces derniers infectent alors les baigneurs en pénétrant à travers leur peau. Les infections se concentreront donc principalement dans les zones touristiques d’eau douce, où de nombreuses personnes se rassemblent, ce qui augmente le risque de contamination. »
Affiner les prévisions
« A l’avenir, nous aimerions nous intéresser à des paramètres autres que la température influençant la répartition géographique de ces escargots. Notamment les précipitations, mais aussi la pollution agrochimique. En effet, les engrais stimulent la croissance des algues et des plantes aquatiques d’eau douce, qui constituent une abondante source de nourriture pour les mollusques, lesquels se multiplient alors plus rapidement. De quoi accélérer la transmission de la bilharziose», précise Dre Tine Huyse.
Cette recherche a été menée en collaboration entre la KU Leuven, l’Université de Copenhague et l’AfricaMuseum. Elle bénéficie du soutien financier du FWO et du programme EU Horizon 2020.