Composé de 36 planches richement illustrées et actuellement conservé à la bibliothèque du Palais Bourdon (Paris), le Codex Borbonicus est l’une des rares traces écrites de tradition aztèque. Il a récemment fait l’objet d’un nouvel ouvrage commenté qui établit le bilan des découvertes réalisées depuis la dernière édition, parue au début des années 90. Co-dirigée par la professeure Sylvie Peperstraete, chercheuse au Centre AmericaS et au Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’ULB et directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études (Paris), la publication synthétise les travaux de cinq autres spécialistes de la culture mésoaméricaine.
Une société rythmée par ses calendriers
L’Empire aztèque a régné sur le Mexique central durant un siècle jusqu’à l’installation des conquistadors, en 1521. « L’étude de cette civilisation précolombienne se fonde, en partie, sur l’analyse des codex pictographiques. Il en existe très peu, car nombre d’entre eux ont été détruits lors de la conquête espagnole. Certains ont été envoyés en Europe, comme le Codex Borbonicus, et ce sont essentiellement ces documents qu’ils nous restent aujourd’hui », informe la Pre Peperstraete.
Jusqu’à la fin du 19e siècle, ce manuscrit reste perçu comme une « curiosité exotique ». Ce sont les avancées des recherches sur les cultures préhispaniques qui révéleront son caractère exceptionnel.
Cette pièce présente, de façon détaillée, les trois grands cycles du calendrier aztèque. Le premier, de 260 jours (20 périodes de 13 jours), avait un caractère divinatoire. Il était utilisé lors des naissances, et pour déterminer les dates les plus propices aux mariages, aux voyages, aux récoltes.
Le second cycle correspond à une année de 360 jours. « Si nous décomposons l’année en 12 mois de 30/31 jours, la société aztèque la divisait en 18 périodes de 20 jours. Chaque “vingtaine” était consacrée à différentes fêtes associées à des rites, qui impliquaient l’ensemble de la communauté », explique la Pre Peperstraete.
Le dernier cycle, enfin, représente un siècle aztèque, à savoir 52 ans. A la fin de cette période, une grande cérémonie fêtait le commencement d’un nouveau cycle.
« Ce document témoigne des systèmes de pensée et des pratiques rituelles aztèques qui ne sont pas documentés par l’archéologie », résume la chercheuse.
Un document passé aux rayons X
Pour autant, de nombreuses interrogations demeurent, comme l’origine géographique du manuscrit, ou encore sa datation. « Notre publication permet néanmoins de mettre en perspective de nouvelles données », indique la directrice de l’ouvrage.
En 30 ans, de nombreux progrès technologiques ont permis de mieux l’étudier. « L’intérêt pour ce codex a trouvé une nouvelle dimension en 2014, lors de la thèse de Fabien Pottier (aussi contributeur de la publication) au Museum national d’histoire naturelle (France), au cours de laquelle il a réalisé des analyses physico-chimiques. Il a soumis les planches à plusieurs rayonnements (infrarouge, rayons x, etc.) grâce à des spectromètres portatifs. Jusqu’alors, on ne pouvait pas réaliser ce type d’analyses sans déplacer le codex, ce qui était refusé par la bibliothèque. »
L’étude a démontré que les pigments utilisés dans le document correspondent à des recettes connues et utilisées à l’ère préhispanique. « Il aurait donc été conçu soit entre 1507 et 1521, c’est-à-dire avant la conquête espagnole. Soit juste après, dans les années 1520 ».
Des détails lors des fêtes rituelles
Concernant le contenu, les récentes campagnes archéologiques ont permis d’accroître les connaissances sur la religion aztèque, et donc de mieux analyser certaines planches. Notamment celles détaillant les fêtes des « vingtaines ». « En parallèle, la réalisation de photos en très haute résolution a mis au jour certains éléments qu’on ne distinguait pas auparavant », ajoute la chercheuse.
En mettant en relation les descriptions écrites de rites venus de l’époque coloniale avec la manière dont les personnages sont représentés dans le codex (leurs vêtements, leurs parures, leurs coiffures, leurs peintures faciales…), les scientifiques ont identifié plus précisément certains rites et les acteurs de la société qui y participaient.
« Citons, par exemple, la planche 28 présentant la vingtaine du « Fruit qui tombe », aussi appelée « Grande fête des morts », montrant des personnages danser autour d’un mât sur lequel une effigie divine était placée. Nous ignorions jusqu’alors qui étaient ces danseurs. Grâce à l’analyse détaillée des différentes parures, nous supposons aujourd’hui que ces protagonistes étaient les dirigeants des écoles de la ville, vêtus de leurs parures de guerrier. Ils étaient suivis de leurs élèves, dont les différentes parures illustraient leurs exploits militaires. » De fait, les Aztèques étaient un peuple guerrier. L’école était obligatoire pour tous les enfants, mais les garçons poursuivaient leur formation plus longtemps et recevaient un enseignement militaire.
Si les travaux des auteurs permettent aujourd’hui de mieux comprendre le Codex Borbonicus et la société qu’il représente, plusieurs questions restent en suspens. En particulier, celle de sa datation exacte. « D’autres recherches seront vraisemblablement menées dans le futur. A noter que, si l’on parvient à attester que ce document est bel et bien préhispanique, le Codex Borbonicus représenterait alors l’unique manuscrit à représenter les fêtes des vingtaines ! », conclut Sylvie Peperstraete.