Le paysage urbain, vous appréciez ? Comme le constate Sophie Hubaut, doctorante FNRS à l’ULB, les références à ce concept se font de plus en plus nombreuses ces dernières années dans les grandes villes. La Région de Bruxelles-Capitale n’échappe pas à la règle.
« On trouve des mentions de cette notion de paysage dans l’organisation de multiples événements ainsi que dans les plans régionaux de développement durable (PRDD) », constate-t-elle. Le dernier en date (2018), qui définit les priorités et les objectifs bruxellois en matière de développement économique, social, de mobilité, ainsi que d’environnement et d’aménagement spatial, accorde également de l’importance au paysage en tant que défi « évident et urgent » face à la densification urbaine, rapporte la chercheuse dans la dernière publication de Brussels Studies, la revue scientifique des recherches sur Bruxelles.
Un argument démographique
Mais qu’entend-on par le mot paysage dans un environnement urbain ? Ce vocable fait plutôt penser à la campagne ou à la nature. Et pourquoi fait-on de plus en plus appel à cette terminologie à Bruxelles ?
« Dans les plans régionaux de développement (PRD), le paysage est toujours associé à des arguments démographiques. Il doit permettre de retenir la population bruxelloise ou d’attirer des habitants en ville », explique la chercheuse au Laboratoire architecture et sciences humaines de l’ULB.
Ses chiffres montrent une érosion régulière du nombre d’habitants dans la région bruxelloise entre 1970 et 1995, année du premier Plan régional de développement. Les Bruxellois préféraient alors quitter la ville pour se mettre au vert, en périphérie ou plus loin encore. Le premier PRD a permis de juguler cet exode urbain. Les plans ultérieurs ont, de leur côté, permis d’inverser la courbe.
Découvrez ici une courte entrevue avec Sophie Hubaut, réalisée en 2020, dans le cadre de la série « L’Objet de la recherche », de l’ULB:
Ce regain d’attrait pour la ville s’expliquerait, notamment, par la politique de rénovation et d’embellissement de l’espace public et par le renforcement du caractère vert de la Région via le « Maillage vert et bleu », soit la mise en réseau interconnecté des espaces verts de la région (espaces verts, allées plantées, promenade verte…) et par la mise au jour de sections de cours d’eau.
Un concept qui mise désormais sur le durable
Ces politiques d’aménagement attirent de nouveaux habitants dès les années 1990. Mais au fil du temps, cette priorité paysagère donnée au patrimoine bâti et au maillage vert et bleu évolue. « L’interprétation du mot paysage se fait désormais plus en lien avec la notion de développement durable, dès 2002, puis par celui de métropolisation, dès 2013 », note la chercheuse.
L’analyse des PRD successifs met en évidence un changement d’échelle progressif du regard porté sur la ville et son paysage. D’une échelle locale, on passe à l’urbain, puis à la métropole, c’est-à-dire au développement d’une identité et d’une cohérence d’ensemble sur toute sa superficie malgré les spécificités des tissus urbains locaux.
« Parce que les paysages ne s’arrêtent pas aux frontières administratives, ils pourraient être déclencheurs d’un dialogue et sources d’un consensus entre les Régions flamande et bruxelloise sur les problématiques d’aménagement du territoire. Pour preuve, la réflexion entamée en 2016 par les deux entités autour de la définition de ‘metropolitan landscapes’, prolongée en 2020 par l’étude conjointe ‘Open Brussels’ destinée à élaborer une vision paysagère et écologique des espaces ouverts structurants commune aux deux Régions », précise Brussels Studies.
Mais à propos, pourquoi parler de paysages alors qu’il s’agit en réalité de préoccupations démographiques et de politiques d’aménagement ? « Le paysage est perçu comme un objet positif et consensuel, dont l’appropriation est probablement facilitée par le caractère équivoque du terme », indique encore Sophie Hubaut.
Toutefois, « hormis le fait que le paysage soit considéré, de façon relativement stable dans le temps, comme un facteur d’attractivité urbaine, l’analyse des PRD a permis de montrer que cette notion est de plus en plus associée à la nature à mesure que l’intérêt pour la durabilité supplante l’intérêt pour le patrimoine », conclut-elle.