Coup d’œil dans le rétroviseur avec l’«Herbe maudite» aux éditions EME-L’Harmattan. Le Pr Jean-Louis Vanherweghem relate ses recherches, et leurs rebondissements, pour trouver la cause d’une maladie rénale insolite. Les protagonistes apparaissent avec leur vrai nom dans cette chronique médicale grand public. Sauf les patientes.
En 2017, l’ancien chef du service de néphrologie, dialyse et transplantation rénale de l’Hôpital universitaire Érasme à Bruxelles (Université libre de Bruxelles) est promu docteur honoris causa à l’Université Aix-Marseille pour sa découverte d’une nouvelle forme de toxicité rénale causée par des plantes chinoises.
Ce n’est pas le hasard
Tout commence le 5 mars 1992 à l’hôpital Érasme. Une patiente angoissée de 43 ans interroge Jean-Louis Vanherweghem sur l’origine de sa maladie rénale grave et irréversible. Son histoire n’indique aucune exposition à un facteur environnemental ou médicamenteux toxique pour les reins. Mais, elle a suivi récemment une cure pour perdre quelques kilos. Le 21 avril, une autre patiente présente une insuffisance rénale avancée. Elle a fréquenté le même cabinet de médecine esthétique. Comme une 3e patiente.
Le néphrologue interroge le médecin du cabinet de médecine esthétique. Depuis peu, des gélules de Stephania tetrandra et de Magnolia officinalis ont été incorporées dans les prescriptions. Jean-Louis Vanherweghem se rend à l’entreprise wallonne importatrice d’extraits pulvérisés de plantes utilisées en médecine traditionnelle chinoise. La directrice-gérante s’engage à vérifier leur conformité auprès de son fournisseur de Hong Kong.
Sept centres bruxellois de dialyse signalent un accroissement brutal d’une maladie rénale d’origine indéterminée chez des femmes qui ont fréquenté le même cabinet de médecine esthétique. Selon le spécialiste des plantes médicinales Maurice Vanhaelen, professeur à la Faculté de pharmacie de l’Université libre de Bruxelles (ULB), il est probable que Stephania tetrandra a été remplacée par une autre plante chinoise toxique, l’Aristolochia. L’inspection de la pharmacie du ministère belge de la Santé est alertée. Le 25 septembre, le Pr Vanherweghem informe les médecins issus de l’ULB lors des journées postuniversitaires.
On tient le coupable
Les pistes se confirment. Les analyses réalisées par la firme importatrice montrent que des lots de Stephania n’étaient pas conformes. En janvier 1993, le nombre de victimes atteint 48. Le 6 mars, la prestigieuse revue médicale internationale «The Lancet» publie l’article du Pr Vanherweghem et des cliniciens qui ont participé à l’enquête.
En juillet 1993, il n’y a plus de doute: Stephania a bien été remplacée par Aristolochia. En février 1995, le spécialiste des maladies rénales communique ses observations lors de la séance de l’Académie royale de médecine de Belgique.
Le calvaire des victimes des plantes toxiques n’est pas terminé. En 1999, des calculs statistiques démontrent que le risque de développer un cancer des voies urinaires est en corrélation directe avec la dose cumulée d’herbes chinoises consommées. En 2000, le «New England Journal of Medicine» publie l’article de Jean-Louis Vanherweghem et de Joëlle Nortier, spécialiste en néphrologie à l’Hôpital Érasme. Depuis 1812, cet hebdomadaire étatsunien aide les cliniciens à améliorer leurs connaissances pour mieux soigner leurs patients.
La toxicité est reconnue
Les autorités sanitaires de différents pays prennent des mesures préventives. Mais, malgré cela, 2 chercheurs en cancérologie de l’University of California à Berkeley signalent, en 2003, dans une lettre au «New England Journal of Medicine», que 19 extraits végétaux contenant des acides aristolochiques sont disponibles sur Internet.
«Chez l’être humain, la prise régulière par voie orale conduit à l’insuffisance rénale chronique et au développement de cancers des voies urinaires», souligne le membre de l’Académie royale de médecine de Belgique. «Plus récemment, leur rôle dans la survenue des cancers du foie a été démontré. L’intoxication humaine peut être d’origine médicamenteuse, les aristoloches faisant partie de la pharmacopée des médecines traditionnelles orientales. Elle peut être aussi d’origine environnementale, les aristoloches étant susceptibles de contaminer les champs de céréales dans les régions chaudes et humides.»
«La néphropathie aux acides aristolochiques a droit de cité dans les derniers traités de néphrologie pour la rédaction desquels Joëlle Nortier et moi avons été sollicités», conclut Jean-Louis Vanherweghem. «La réalité de la toxicité des aristoloches est maintenant reconnue par le monde scientifique international».