En moins de 30 ans, la biodiversité des rivières américaines s’est métamorphosée

22 décembre 2025
par Camille Stassart
Temps de lecture : 5 minutes

Moins de 1 % de la surface de la Terre est constituée d’eau douce. Et pourtant, rivières, lacs et autres ruisseaux grouillent de vie, abritant plus de 125 000 espèces différentes. Cependant, cette richesse est de plus en plus menacée. Les facteurs sont multiples : pollution, destruction des habitats, changement climatique, surpêche, espèces invasives…

Mais tous les organismes ne sont pas touchés de la même manière, selon une récente étude américaine à laquelle a participé le Pr Frederick De Laender, directeur de l’Unité de recherche en biologie environnementale et évolutive de l’UNamur. En analysant près de 30 ans de données sur la biodiversité en poissons des rivières et ruisseaux des États-Unis, les chercheurs révèlent que ceux vivant dans les eaux froides paient le plus lourd tribut.

Plongée dans les archives des cours d’eau américains

« Il existe une quantité énorme de données de biosurveillance qui dorment dans les bases de données fédérales américaines », fait savoir le Pr De Laender, également à la tête du laboratoire d’écologie environnementale des écosystèmes. Dans leur étude, les chercheurs se sont basés sur deux ensembles de données recueillies entre 1993 et 2019 par l’United States Environmental Protection Agency (USEPA) et l’United States Geological Survey (USGS). En tout, ils réunissent des informations sur 389 espèces de poissons de 2 992 rivières et ruisseaux.

« C’est vraiment l’échelle spatiale qu’on a pu adopter qui rend cette étude unique. Bien que les États-Unis constituent un territoire très vaste, la collecte des données se fait selon des protocoles comparables d’une région à l’autre, ce qui permet d’en extraire des tendances à grande échelle », précise le bioingénieur. « Par ailleurs, ces deux jeux de données couvrent l’ensemble du pays de manière équilibrée, ce qui nous offre une vision cohérente des dynamiques nationales. »

Poissons d’eau fraîche sous pression

Grâce à une harmonisation minutieuse et à des outils avancés d’analyse statistique, les scientifiques ont pu tirer de ces millions de mesures des tendances claires.

Déjà, l’étude montre des évolutions radicalement différentes selon la température de l’eau. Dans les rivières et ruisseaux où la température moyenne en été est inférieure à 15 °C, le nombre total de poissons a chuté de 53 % en 27 ans, tandis que la diversité des espèces a diminué de 32 %.

« Le réchauffement des eaux dû au changement climatique affecte particulièrement les cours d’eau froids », impactant en retour les espèces adaptées aux eaux fraîches, comme les truites ou les saumons, qui tolèrent mal ces hausses de températures. A l’inverse, dans les cours d’eau dont la température dépasse naturellement les 24 °C, les populations ont augmenté de 70 % et la biodiversité de 16 %.

Cours d’eau chauds, froids et intermédiaires inclus dans l’étude à laquelle a participé le Pr Frederick De Laender © S.L. Rumschlag  et al., 2025. 

Vers une uniformisation des populations

Un autre constat marquant de l’étude est que les populations de poissons deviennent de plus en plus homogènes. Dans les rivières et ruisseaux plus chauds, les poissons comme les esturgeons – des espèces dites « périodiques », souvent de grandes tailles et à longue durée de vie – reculent. Ils sont remplacés par des poissons dits « opportunistes », comme les ménés, de plus petite taille et présentant un cycle de vie court.

A contrario, dans les cours d’eau « froids », les poissons périodiques sont en augmentation, au détriment des opportunistes. Cet essor s’expliquerait probablement par « l’introduction réussie d’espèces destinées à la pêche sportive », avance l’étude. « Le fait que les espèces périodiques soient généralement celles recherchées par les pêcheurs suggère effectivement une interaction entre les activités de pêche et les tendances de biodiversité », précise le chercheur.

Des enjeux environnementaux et économiques

Sous l’effet combiné de l’élévation de la température de l’eau et des lâchers de poissons dans le cadre de la pêche de loisir, les communautés de poissons des rivières américaines ont donc été profondément réorganisées. Et ce, en moins de trois décennies.

« Une telle réorganisation en si peu de temps : ces résultats nous ont surpris», confie le bioingénieur. « C’est évidemment problématique, car moins de biodiversité conduit à des écosystèmes plus fragiles et moins aptes à faire face aux perturbations (pollution, chaleur, sécheresse). Cela entraîne aussi une moins bonne qualité de l’eau. Les conséquences sont aussi d’ordre économique, puisque les systèmes d’eau douce fournissent des biens et services écosystémiques évalués à 6 500 milliards de dollars par an », rappelle le Pr De Laender.

Il existe toutefois des leviers concrets pour limiter ces changements. Parmi ceux identifiés par les auteurs, la restauration de la végétation riveraine (notamment des forêts) permettrait de réduire la température de l’eau en été grâce à l’ombrage. De même, un meilleur contrôle de l’introduction et de la propagation d’espèces contribuerait à protéger les populations locales de poissons.

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