Comme la bouche, la peau ou les intestins, le vagin est colonisé par de nombreux micro-organismes qui participent à sa protection contre les agents pathogènes. Lorsque le nombre de ces bactéries alliées d’une bonne santé subissent un déclin, l’équilibre microbien est rompu. Et la vaginose bactérienne s’installe. Cette infection, qui atteint 15 à 30% des femmes à travers le monde, est suspectée depuis 20 ans de favoriser les infections par le virus du papillome humain (VPH), les plus répandues des infections sexuellement transmissibles. En revanche, l’influence du VPH sur le développement de la vaginose reste peu comprise.
Pendant 5 ans, des chercheurs du laboratoire de pathologie expérimentale de l’unité de recherche GIGA Cancer (ULiège) ont étudié l’impact de ce virus sur le microbiote vaginal, afin de mieux comprendre leur relation causale.
Le cercle vicieux de la double infection
Le sujet a, jusqu’à présent, de par le monde, fait l’objet de peu de recherches, faute d’études assez longues et réunissant suffisamment de patientes. « La grande majorité des recherches menées sur le VPH sont des études transversales, c’est-à-dire réalisées dans une population donnée (le plus souvent quelques centaines de personnes), à un moment déterminé », explique le Pr Michael Herfs, chercheur qualifié FNRS et coordinateur de l’étude.
« Si on sait depuis 15 ans que le VPH et la vaginose peuvent affecter ensemble une même patiente, on ne suivait pas leur évolution dans le temps. Aussi, quand les patientes étaient positives aux deux infections, on ne savait pas si la vaginose avait favorisé l’acquisition du virus, ou si c’était l’inverse. »
Pour le déterminer, l’équipe de scientifiques a réalisé une étude rétrospective pendant 8 ans sur 6.085 femmes, incluant des patientes positives à la vaginose, au VPH, ou aux deux, ainsi qu’un groupe témoin, négatif aux deux infections.
Par ce suivi, les chercheurs ont fait plusieurs découvertes notables. Alors que dans 80-90% des cas, le papillomavirus régresse endéans les deux ans, l’étude a démontré qu’une infection persistante (plus de 24 mois) favorisait le déséquilibre de la flore vaginale, doublant le risque de développer une vaginose bactérienne. « De plus, en cas de double infection (VPH et vaginose), nous avons noté que la persistance de l’une était augmentée par l’autre ». Il s’agit donc d’un cercle vicieux.
Les lactobacilles, victimes collatérales du virus
De façon plus surprenante, les scientifiques ont découvert que la vaginose est une conséquence indirecte des stratégies mobilisées par le virus pour échapper au système immunitaire.
« Comme tous les virus, le VPH vise à infecter les cellules de l’hôte, afin de s’y répliquer. C’est d’ailleurs cette réplication qui amène les cellules infectées à muter, ce qui conduit à l’apparition de lésions pré-cancéreuses et de cancers », précise le Pr Herfs. Notons néanmoins que seule une infection à long terme, et uniquement par certains types de papillomavirus, peut causer un cancer du col de l’utérus, de la bouche, de la gorge, ou encore de l’anus.
Pour pouvoir infecter l’organisme de façon persistante, le virus doit d’abord se soustraire au système immunitaire. Certaines protéines virales vont se lier aux protéines des cellules-hôtes, puis les dégrader. En faisant cela, le virus réduit l’inflammation, et plus particulièrement la sécrétion de peptides (des molécules constituées d’acides aminés) et de protéines antiviraux et antibactériens de la muqueuse.
« Ce que nous ignorions jusqu’alors est que les lactobacilles, les bactéries constituant 95% du microbiote vaginal, utilisent ces peptides comme sources d’acides aminés, assurant de cette façon leur croissance et leur survie », informe le chercheur. « En limitant la sécrétion de ces peptides, le virus empêche les lactobacilles d’avoir accès à cette ressource. En conséquence, le taux de lactobacilles décroît fortement, tandis qu’en parallèle, celui des autres bactéries passe à 30, 40, voire 50%. On aboutit alors à un déséquilibre microbien, qui conduit à la vaginose.»
Des récidives chez une patiente sur deux
La cause de la vaginose demeure inconnue. « Les facteurs menant à un déséquilibre de la flore sont multiples et non-spécifiques (se laver avec du savon, le tabac, avoir plusieurs partenaires…). Et notre étude montre que les infections persistantes au VPH représentent encore un autre facteur de risque. »
« On peut, néanmoins, espérer que sa prévalence s’amenuisera au fil des années avec l’augmentation de personnes vaccinées contre le papillomavirus».
Du côté des traitements, cette étude pourrait ouvrir la voie à de nouvelles méthodes, plus efficaces. « Pour l’heure, la vaginose bactérienne est traitée, faute de mieux, par des antibiotiques à large spectre. Mais ils ne fonctionnent que dans 50% des cas. Sur base de nos résultats, nous pourrions envisager d’utiliser les peptides sécrétés par la muqueuse de l’hôte comme prébiotiques », conclut Michael Herfs.