Faire un doctorat, préparer et défendre une thèse est une aventure universitaire et humaine exceptionnelle. En Fédération Wallonie-Bruxelles, on dénombre cette année quelque 7.500 doctorantes et doctorants, à divers stades de leurs recherches. Certains de ces scientifiques sont financés. Pendant quelques années, ils et elles disposent alors d’une bourse, ou d’un salaire d’assistant payé par l’université ou par une entreprise.
D’autres font un doctorat sans financement extérieur. Toutes ces trajectoires sont palpitantes, uniques. Mais le quotidien de ces chercheurs et chercheuses est aussi très peu connu du public et… des étudiants universitaires qui peut-être demain emprunteront eux aussi la voie du doctorat.
C’est quoi, faire un doctorat?
A l’Université de Mons, l’administration de la recherche et le MuMons ont mis les petits plats dans les grands pour démystifier ce pan important de la vie académique.
Ce printemps, une exposition de photos présentait dans la ville les trajectoires de plusieurs ancien(ne)s doctorant(e)s de l’université. Un livre reprenant les témoignages de ces personnes a également été préparé. Il est disponible gratuitement en ligne. Un « Café-Sciences » a aussi été organisé pour débattre et éclairer sur cette phase très particulière de la vie universitaire. Outre quelques experts académiques, trois anciennes doctorantes sont venues y apporter leurs témoignages. Trois chercheuses qui sont également présentes dans l’expo et le livre.
Après les avoir rencontrées longuement, nous vous livrons ci-dessous quelques-unes de leurs expériences de vie de doctorantes. On ne parle pas ici de leurs recherches, ni du domaine scientifique dans lequel elles travaillent. Pour cela, il suffit de se plonger dans le livre « Une vie de doctorant(e) ». Ce que nous vous livrons ci-dessous, ce sont quelques tranches de vie, d’états d’esprit, de vécus, de ces jeunes femmes qui font un doctorat ou ont fait un doctorat à l’UMons. Morceaux choisis.
Analyser en profondeur des phénomènes complexes
« Le fait de faire un doctorat a eu un impact significatif sur moi, car cela m’a permis de concrétiser un rêve », explique Aurélie Vachaudez. « J’ai aussi pu participer à des projets de recherche sur d’autres thèmes que le mien et de beaucoup voyager que ce soit pour des colloques ou des collectes de données sur le terrain. »
« Cela a affiné ma capacité à vulgariser des sujets complexes, une compétence que je considère comme essentielle. Participer à des concours comme “Ma thèse en 180 secondes” fait partie de cet effort pour communiquer ma recherche. En somme, le doctorat a renforcé ma posture de chercheuse et ma capacité à analyser en profondeur des phénomènes complexes, tout en continuant à faire le lien avec les applications pratiques pour le marketing et l’enseignement. »
Une forme d’effervescence intellectuelle qui nourrit
Loredana Cultrera, 35 ans, première assistante à l’UMons, ne dit pas autre chose. « Quand je me suis lancée dans la thèse, ce n’était pas un choix par défaut, ni une opportunité tombée du ciel. C’était un choix mûrement réfléchi, un vrai défi personnel. J’avais envie d’aller plus loin, de sortir de ma zone de confort, de me dépasser. Je crois que j’ai toujours eu ça en moi : l’envie de me challenger, d’aller au bout des choses. »
« En entrant dans le monde de la recherche, j’ai découvert un univers extrêmement riche et vivant. Ce n’est pas juste lire des articles et écrire des lignes de code ou des pages de texte. C’est réfléchir en profondeur, s’interroger, remettre en cause ce que l’on croyait savoir. C’est apprendre chaque jour, continuellement.»
« C’est aussi rencontrer d’autres chercheuses, d’autres chercheurs, confronter ses idées, voyager, participer à des colloques… Il y a une forme d’effervescence intellectuelle qui, personnellement, me nourrit énormément. »
Concilier thèse et maternité
« Cette thèse, je l’ai faite en six ans. Six années de lecture, d’écriture, de présentations, de corrections, de reformulations… Et comme si ça ne suffisait pas, j’ai eu un enfant en cours de route ! J’ai soutenu ma thèse en juin 2020, en pleine pandémie, avec un petit garçon de deux ans qui ne faisait pas ses nuits, et un confinement qui rendait tout plus compliqué. »
« Je ne vais pas vous mentir : c’était dur. Travailler pendant ses siestes, le soir, le week-end, jongler entre les couches et les tableaux Excel, gérer la fatigue chronique… J’étais épuisée. Mais j’étais aussi portée par quelque chose de plus grand : l’envie d’aboutir, le sens de ce que je faisais, et surtout… l’amour. L’amour de mon mari, de mon fils, le soutien de mes proches. »
Mobilité des chercheurs et expérience de la solitude
Wivine Blekic a tout juste 30 ans. Elle est actuellement chercheuse postdoctorale à l’Université de Lille. « Qu’est-ce que ce doctorat m’a apporté ? Une forme très particulière d’assurance et de remise en cause permanente. Faire de la recherche, dans un domaine précis, c’est constamment tenter d’être à la pointe de la connaissance dans un sujet perpétuellement en développement. »
« Cette assurance, elle s’est renforcée avec les expériences de vie qui vont avec le doctorat, à savoir pour ma part, les voyages. »
« Je suis rentrée à 2.000 % dans cette possibilité qu’offre la vie académique : partir à l’étranger. Ce que j’avais un peu moins anticipé, c’est que pendant un congrès ou un séjour de recherche, on voyage seule. Au moment de mon doctorat, mes amis venaient de commencer un job et ne pouvaient pas forcément prendre congé pour voyager avec moi. Prendre l’avion, aller de l’aéroport à l’hôtel, s’orienter dans la ville, aller manger la veille du congrès seule dans un restaurant, ne pas arriver à parler de manière naturelle et fluide, car ce n’est pas en français, c’est constamment sortir de sa zone de confort. Oui, vous rencontrez des gens, bien sûr, mais la phase de solitude et de débrouillardise est bien réelle. Ça ne m’a pas empêché d’aller à Rotterdam, Belfast, Varsovie et Melbourne pendant ma thèse, allant d’une semaine à trois mois de voyage. »
Pourquoi faire une thèse?
« Faire une thèse, ce n’est pas juste obtenir un titre. C’est vivre une transformation », assure Loredana Cultrera. « On croit qu’on va apprendre sur un sujet. En réalité, on apprend surtout sur soi. On apprend à encaisser les critiques, à douter sans se paralyser, à se relever après un refus ou une erreur. On apprend la patience, l’humilité, la résilience. On découvre ses propres limites, et on apprend aussi à les repousser. C’est une véritable école de vie. »
« Et malgré tout, malgré les moments difficiles, je ne regrette rien. Aujourd’hui, je fais un métier que j’aime. J’enseigne, je cherche, je suis entourée de collègues formidables. Et surtout, je me sens à ma place. »
En guise de conclusion, elle adresse un message à celles et ceux qui hésitent à se lancer dans une thèse. « Osez. Tentez l’aventure. Ne laissez pas les peurs, les doutes, les obstacles vous paralyser. La thèse, ce n’est pas un long fleuve tranquille, c’est plutôt une traversée à la rame. Mais quelle traversée ! Et surtout, n’écoutez pas ceux qui vous disent que « ce n’est pas le bon moment ». Il n’y a jamais de moment parfait. La vie, elle se vit. Et parfois, il faut sauter dans le vide pour découvrir qu’on sait voler.»