Par le biais d’anecdotes, Guy Rousseau raconte ses recherches et ses rencontres «Sur la piste des messagers cellulaires – Carnets de voyages d’un explorateur», chez L’Harmattan. L’autobiographie du membre de l’Académie royale de médecine de Belgique relate les découvertes en génétique moléculaire.
«En travaillant dans cinq universités et lors de mes pérégrinations de chercheur, j’ai pu relever des itinéraires intéressants pour les avoir moi-même parcourus ou en raison de mes contacts avec des baroudeurs qui les ont pratiqués», explique le professeur émérite de la Faculté de médecine de l’UCLouvain. Primé pour ses travaux sur le mécanisme d’action des hormones.
Ses carnets de voyage montrent que les plus grandes découvertes naissent de la rencontre du hasard et de l’imagination. Au carrefour de disciplines étrangères l’une à l’autre.
Pister l’aldostérone
Après ses études à l’UCLouvain, Guy Rousseau pratique la médecine pendant trois ans au Québec. Puis il réalise des expériences pour défendre sa thèse sur l’aldostérone à l’université montréalaise McGill.
«La fonction de l’aldostérone remonte à une étape cruciale de l’évolution des espèces il y a des millions d’années, lorsque les premiers animaux quittent les océans pour explorer la terre ferme», précise le chercheur. «Un gros problème se pose pour ces audacieux, tels que les amphibiens. Alors qu’ils baignaient dans une mer salée et disposaient ainsi du chlorure de sodium nécessaire à la vie, les voici obligés de conserver ce précieux sel, si rare hors de l’eau. La clé de leur survie sera de produire l’aldostérone, une hormone qui stimule la récupération du sodium par la vessie. Celle-ci faisant office de rein primitif.»
Guy Rousseau apprend que le Belge Jean Crabbé a reproduit, pour la première fois, l’effet de l’aldostérone sur la rétention de sel en dehors de l’organisme. En 1966, il rejoint son laboratoire à l’Institut de physiologie de l’UCLouvain. Sa recherche est axée sur la vessie volumineuse des crapauds géants sud-américains. Attrapés dans des champs de canne à sucre, ces amphibiens lui parviennent dans une valise diplomatique de l’ambassade belge au Brésil.
Traquer l’ARN messager
Séduit par les travaux de Jean Crabbé, Guy Rousseau enjambe la physiologie et la biochimie. Arrive à la biologie moléculaire pour étudier le mécanisme d’action des hormones stéroïdiennes. Il y a 50 ans, on savait déjà que le support physique de l’information génétique était l’ADN (acide désoxyribonucléique) des chromosomes. Mais, les mécanismes de la transcription de l’ADN en ARN (acide ribonucléique) et de la traduction de l’ARN messager en protéines restaient mal définis. Ainsi que le contrôle de ces mécanismes.
Guy Rousseau rejoint l’ULB. L’équipe du professeur de biochimie Hubert Chantrenne a isolé le premier ARN messager non-bactérien, celui d’un lapin. Elle a utilisé du sucre fin de Tirlemont pour combattre les omniprésentes ribonucléases qui catalysent la dégradation de l’ARN sur la peau humaine et les verreries. Le scientifique poursuit ses recherches. Apprend à purifier l’ARN. À trouver l’hypothétique ARN messager produit en réponse à l’aldostérone dans la vessie des crapauds.
Réaliser ses rêves
Le futur responsable du groupe «Hormones et métabolisme» à l’Institut Christian de Duve (UCLouvain) voyage notamment au Chili, avec sa famille, lors du coup d’État de 1973. Parce qu’il est financé par une bourse de l’Institut de santé des États-Unis, le biochimiste Gordon Tomkins l’accueille à l’University of California – San Francisco. Son équipe de jeunes talents est chargée de développer la biologie moléculaire. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
«Nous mettons au point un test simple qui sera utilisé en biologie clinique pour la détection des récepteurs de stéroïdes tels que les œstrogènes dans le cancer du sein. Par ailleurs, notre modèle expérimental permettra l’étude in vitro des relations entre la structure des stéroïdes et leur activité. Des compagnies pharmaceutiques en tireront profit pour synthétiser des super-hormones et des anti-hormones, médicaments qui étaient jusqu’alors mis au point empiriquement par essais et erreurs. De retour en Belgique, j’en ferai un de mes sujets de recherches avec l’appui de ces compagnies.»
Le livre souligne l’importance d’une recherche sans contrainte d’applications immédiates. «Il faut faire preuve d’imagination», conclut Guy Rousseau. «Tirer parti de nouvelles techniques dans différentes disciplines. Saisir les opportunités. Savoir collaborer. Affronter la compétition, facteur d’émulation, de progrès, mais aussi d’angoisse. Reprendre courage lorsqu’on s’égare sur une fausse piste. En contrepartie, le chercheur espérera contribuer au juste retour qu’il doit à la société. Tout en jouissant du privilège d’avoir pu réaliser ses rêves.»