La Nature recherche l’efficacité plutôt que la perfection

23 août 2016
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
«Comment fait le gecko pour marcher au plafond?» par Serge Berthier. Editions Belin Pour la science. VP 26€

«Nous avons fort à gagner dans l’observation de nos prédécesseurs, animaux ou végétaux», pense Serge Berthier, chercheur à l’Institut des nanosciences de Paris. «Les espèces que nous côtoyons aujourd’hui ont bénéficié de millions d’années de recherche et développement dans un véritable laboratoire à ciel ouvert. Chacune est un réservoir de solutions technologiques

Le professeur de physique à l’Université Paris-Diderot examine des réussites à l’échelle nanométrique, d’un milliardième de mètre, dans «Comment fait le gecko pour marcher au plafond?» aux éditions Belin Pour la science . Il montre les avantages reliés au désordre et à la complexité. Plus de 200 photos illustrent ces investigations dans l’air, l’eau, la terre et le feu. Serge Berthier espère donner envie à de jeunes chercheurs de poursuivre sa quête dans le nanomonde naturel. Il dédie son livre à son ami Jean-Pol Vigneron décédé accidentellement en 2013. Le professeur à l’Université de Namur avait participé à la rédaction de l’ouvrage.

Faire beaucoup mieux avec moins

Passer à travers le filtre de la sélection naturelle a exigé la résolution de problèmes d’une incroyable complexité. Pour comprendre pourquoi une solution a été favorisée plutôt qu’une autre, le chercheur évoque quelque 150 espèces animales, dont une centaine d’insectes… «Les insectes représentent 55% d’un peu moins d’un million d’espèces animales connues sur un nombre total estimé de 7,7 millions. Ce qui explique la part importante qui leur est octroyée dans cet ouvrage», précise-t-il.

Pour survivre, un organisme ne développe pas la démarche retenue dans l’industrie qui recherche la perfection d’un objet à une seule fonction. Mais une structure capable d’assumer plusieurs fonctions sans en privilégier une seule. Avec un nombre d’éléments chimiques réduit. Sur les quelque 90 éléments stables disponibles sur Terre, on n’en trouve guère plus de 6 ou 7 dans les structures naturelles. Contre une bonne cinquantaine dans les produits industriels. Mais pour faire beaucoup mieux avec peu, il faut torturer la matière, la structure. Ou la désorganiser à l’extrême.

L’aile d’un papillon ne remplit pas qu’une seule fonction. Elle ne permet pas que le vol. La couleur bleue éclatante des ailes du morpho mâle de la forêt amazonienne signale aussi sa présence aux femelles. La structure hydrophobe fait que ses ailes restent parfaitement sèches : une nécessité pour voler dans un milieu où l’humidité oscille entre 98 et 100%. Leurs surfaces orientables, relativement grandes par rapport au corps, assurent l’absorption de l’énergie solaire et l’autorégulation thermique.

Pas facile de décrocher un gecko

Les structures hydrophobes autorisent de se déplacer sur l’eau sans être englouti. Le liquide ne monte pas le long des longues pattes de l’araignée d’eau, contrairement au fin tube de verre plongé dans un liquide. Mais il s’enfonce sous les poils structurés en chevrons de l’insecte. Pourrions-nous marcher sur l’eau comme cette araignée si nous chaussions des bottes recouvertes d’un matériau superhydrophobe?

«La surface de l’eau se comporte comme un filet élastique. Lorsqu’un insecte s’y déplace, il déforme légèrement la surface. En réponse à cette déformation, la pellicule exerce une force dirigée vers le haut. Son intensité est de l’ordre du produit du périmètre de contact par la tension superficielle de l’eau. Cette force est suffisante pour compenser le poids d’un animal de quelques grammes, même immobile, ou celui d’un lézard à larges pattes palmées s’il se déplace rapidement. Hélas, elle n’est pas suffisante pour compenser celui d’un être humain.»

Véritable acrobate, le gecko, ce lézard plat des régions chaudes, se déplace dans n’importe quelle position, sur presque tous les supports. Son secret se niche dans la structure de ses doigts aplatis traversés de larges stries recouvertes de soies qui se subdivisent en un bouquet d’une centaine de nanosoies. Ces poils suivent au plus près les fluctuations de la surface, jusqu’à quelques dizaines de nanomètres. Chacun donne lieu à une force dont l’ensemble permet de soutenir les dizaines de grammes du reptile. Et pour se décoller? Les doigts du gecko se déroulent et éloignent, strie après strie, les soies du support. Le biomimétisme «coller sans colle» intéresse particulièrement de nombreux domaines, dont la chirurgie.

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