La Fédération mondiale des sourds a été créée le 23 septembre 1951. C’est en référence à cet événement que la Journée internationale des langues des signes rappelle un fait essentiel : les langues signées sont des langues à part entière. Partout dans le monde, des événements célèbrent cette modalité originale de la communication humaine et mettent en lumière la diversité des langues signées, leur richesse et leur importance pour l’éducation et l’inclusion des personnes sourdes et malentendantes.
Briser les clichés
Contrairement à une croyance bien ancrée, il n’y a pas « une » langue des signes universelle. Les contacts réguliers entre personnes sourdes ont fait émerger, partout dans le monde, différentes langues signées, qui ont évolué au fil du temps et des contacts, comme les langues vocales. Les chercheurs sont tous d’accord sur ce point : les langues signées sont des langues à part entière.
Les enfants exposés dès le plus jeune âge à une langue signée l’acquièrent naturellement, avec les mêmes bénéfices cognitifs et sociaux que tout bain linguistique, pour autant que celui-ci soit de qualité et en quantité suffisante. Le multilinguisme existe aussi en langues des signes : certains enfants y sont exposés très tôt, lorsqu’on pratique plusieurs langues au sein du foyer ; d’autres les acquièrent plus tard, au gré des rencontres et des expériences de vie.
La plupart des personnes sourdes vivent d’ailleurs en situation de bilinguisme, entre une langue signée et la langue dominante, orale et écrite. La maîtrise de ce bilinguisme est un enjeu majeur pour leur inclusion dans la société. Une inclusion qui suppose de mieux comprendre ce que signifie être sourd au quotidien, et de se débarrasser des idées reçues.
La Belgique francophone dispose de « sa » langue des signes
Depuis le début des années 2000, beaucoup de choses ont changé pour la langue des signes de Belgique francophone, ou LSFB. Elle a été reconnue le 22 octobre 2003 par un décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En 2009, la Fédération Wallonie-Bruxelles a reconnu la possibilité pour les enfants sourds et malentendants de suivre un enseignement par immersion en langue des signes et en a établi les modalités et les conditions. Cette possibilité est maintenant étendue jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire.
Depuis 2000, des recherches linguistiques sont menées pour décrire l’organisation lexicale, grammaticale et discursive de la LSFB. Outre les travaux de recherche fondamentale développés par le LSFB-Lab de l’Université de Namur, un large corpus informatisé a été mis à la disposition des chercheurs, des professionnels et du public au sens large en 2015, et un dictionnaire bilingue contextuel – interrogeable en français et en langue des signes, via une webcam – a été développé en collaboration avec la Faculté d’Informatique de l’UNamur et mis en ligne en 2022.
Tout récemment, en avril 2025, et grâce à nouveau à la collaboration entre linguistes et informaticiens, est arrivé MOSI : un outil d’aide à la lecture, du mot au signe.
Dans le domaine de l’interprétation, un bachelier (Université Saint-Louis Bruxelles, désormais UCLouvain Saint-Louis Bruxelles) et un master en traduction et interprétation (UCLouvain) existent depuis 2014. Et depuis 2023, un certificat interuniversitaire (UCLouvain Saint-Louis et UNamur) assure une formation entièrement en langue des signes destinée aux interprètes et traducteurs sourds.
Ces avancées ont permis à une première génération d’élèves sourds et malentendants de suivre un enseignement général en inclusion, dans des classes bilingues (au sein de l’école Sainte-Marie à Namur) et de réussir ensuite des études supérieures.
Une langue minoritaire résiliente
La LSFB reste pourtant une langue vulnérable dans une société où la majorité est entendante. Elle est minoritaire : on estime qu’elle compte environ 4.000 locuteurs qui en font un usage quotidien en Belgique francophone. De plus, sa transmission est totalement originale. Dans le cas des langues vocales et des familles entendantes, il semble évident que la langue ou les langues des adultes se transmettent aux enfants et cela, de génération en génération. Mais pour les langues signées, ce n’est pas le cas.
En effet, 95% des enfants sourds naissent de parents entendants, au sein de familles qui, le plus souvent, n’ont aucune connaissance d’une langue signée. C’est donc au contact des pairs, le plus souvent à l’école, que les jeunes se transmettent la langue et le plaisir de signer, de communiquer sans entrave sensorielle. Ce plaisir de signer ensemble est manifestement suffisamment intense pour assurer la continuité linguistique et maintenir la vitalité de la langue.
Des obstacles symboliques sont aussi en jeu. Les langues signées sont des langues de la communication en face-à-face. Autrement dit, il faut se voir (en personne ou par écran interposé) pour se parler. Elles n’ont pas de tradition écrite, ce qui les prive du prestige accordé aux langues « scolaires ». Parmi les freins à l’inclusion et à l’éducation des élèves sourds et malentendants, les plus persistants sont liés aux représentations erronées encore véhiculées au sein de notre société aujourd’hui. Celles-ci sont depuis longtemps contredites par l’expérience et par la science : l’idée selon laquelle il s’agirait d’un langage universel, d’une transposition gestuelle d’une langue vocale, que les langues signées ne servent qu’à exprimer des éléments concrets. Et plus délétère encore : l’idée que leur apprentissage freinerait l’apprentissage de la langue vocale. Une vérité contredite non seulement par l’expérience et les connaissances scientifiques dans le domaine de la linguistique et de l’enseignement aux sourds, mais aussi par tous les parents d’enfants entendants qui se réjouissent d’utiliser les « baby signs » avec leur jeune enfant pour accélérer et améliorer la communication.
Un danger? Au contraire: une richesse !
Pourquoi une langue serait-elle un danger ? La journée internationale des langues des signes est l’occasion de le rappeler : ces langues sont une richesse culturelle et linguistique que nous avons le devoir de protéger et de valoriser. En priver les enfants sourds, souvent à cause de représentations erronées, c’est mettre un frein à leur développement linguistique et cognitif, à leur socialisation, donc à leur inclusion.
Note 1: Pour en savoir davantage, consultez le livre « Ecole et surdité : une expérience d’enseignement bilingue et inclusif » publié aux Presses universitaires de Namur.
Note 2 : Chaque mois, Daily Science donne carte blanche à l’un(e) ou l’autre spécialiste sur une problématique qui l’occupe au quotidien. Et ce, à l’occasion d’une des journées ou semaines mondiales des Nations-Unies. Aujourd’hui, la Journée internationale des langues des signes.