Reconstruction de Deinocheirus © Yuong-Nam Lee (KIGAM)

Le dino « volé » était paisible et poilu

23 octobre 2014
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 6 minutes

Cinquante ans après la découverte des premiers fossiles, les mystères qui entouraient le dinosaure Deinocheirus mirificus (« mains terribles étonnantes ») ont été levés. Pascal Godefroit, paléontologue de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, et ses collègues mongols et coréens, décrivent cette semaine l’animal dans la revue « Nature ». Deinocheirus mirificus était omnivore, et malgré ses bras préhensiles et ses griffes géantes, il devait être plutôt paisible.

 

Avant d’en arriver à cette conclusion, le paléontologue belge a d’abord aidé à résoudre une autre énigme, quasi policière, concernant le fameux dinosaure. Pascal Godefroit a participé à la (re)découverte de divers fossiles volés appartenant à deux spécimens de Deinocheirus mirificus. Des fossiles qui étaient indispensables à la description de l’animal.

 

Des dinosaures sans tête

 

La saga de Deinocheirus mirificus, démarre il y a 50 ans avec la découverte, par une paléontologue polonaise, des premiers fossiles dans le désert de Gobi, en Mongolie. Vieux  de 70 millions d’années, il s’agissait de deux pattes antérieures énormes (2,4 mètres de long) armées de griffes impressionnantes.

 

Hormis ces énormes bras, seuls quelques fragments osseux de l’animal avaient ensuite été mis au jour. Quand enfin, en 2006 et en 2009, des scientifiques coréens ont découvert, toujours dans le désert de Gobi, deux nouveaux exemplaires étêtés  de Deinocheirus. Le crâne, les pieds et une main avaient été volés par des chasseurs de dinos.

 

Retrouvé chez un collectionneur allemand

 

« Voici une dizaine d’années, un crâne, des pieds et une main d’un grand dinosaure « bizarroïde » avaient été achetés au Japon par Burckard Pohl, un riche collectionneur allemand », explique le Dr Godefroit.

 

Bien connu dans le monde de la paléontologie et de la minéralogie, Burckard Pohl possède un musée privé à Thermopolis, aux USA, et un musée semi-privé dans le Liaoning, en Chine. Il est également propriétaire de nombreuses carrières fossilifères un peu partout dans le monde. C’est lui, en outre, qui possède les deux derniers spécimens répertoriés du célébrissime oiseau jurassique Archaeopteryx.

 

Des fossiles étudiés à Bruxelles

 

« Burckard Pohl avait confié ces fossiles pour préparation et moulage à la firme Eldonia en France », continue Pascal Godefroit. « A l’occasion d’une visite chez Eldonia, j’avais vu ces fossiles. D’après l’anatomie de la main, il était évident que ces fossiles appartenaient bien à Deinocheirus (il faut se rappeler que ce dinosaure n’était alors connu que par ses bras, ses mains et ses ceintures scapulaires). Poll, François Escuillié (le directeur d’Eldonia) et moi-même avions alors décidé que les fossiles seraient dégagés, puis étudiés à Bruxelles ».

 

Entretemps, une équipe Mongolo-Coréenne (aidée par le célèbre paléontologue canadien Phil Currie) avait entrepris de nouvelles fouilles, en 2006 et 2009, dans le désert de Gobi et avait découvert deux nouveaux squelettes de Deinocheirus. Deux squelettes dont le crâne, les pieds et les mains avaient été prélevés par des pillards…

 

Quelques réunions plus tard, le paléontologue belge et ses collègues ont pu constater que le crâne, pied et main de la collection de B. Pohl collaient parfaitement avec le reste du plus grand des deux squelettes découverts en 2009 à Bugiin Tsav.

 

Un museau de canard

 

Les spécimens découverts chez Eldonia sont ainsi restés deux ans à Bruxelles. « Nous avons pu les dégager et les étudier en détail », précise le Dr Godefroit. « Le crâne est tout à fait extraordinaire.  Le museau est très allongé et se termine en forme de spatule. La mâchoire inférieure est énorme mais les zones d’insertion de la musculature sur le crâne sont très réduites, ce qui indique qu’elles n’étaient pas du tout puissantes.  Comme chez la plupart des ornithomimosaures, il n’y a pas de dents ».

 

« Nous avons pu étudier, par CT scan, l’anatomie de la boîte crânienne », continue le scientifique. Ces images révèlent que le cerveau était très semblable à celui des oiseaux actuels, mais de très petite taille relative en comparaison avec les autres dinosaures théropodes connus à ce jour ».

 

« Nous avons directement négocié avec la Ministre de la Culture, du Sport et du Tourisme de Mongolie, Oyungerel Tsedevdamba. Un accord a été trouvé pour que les pièces de la collection de Burckard Pohl soient officiellement restituées à l’état mongol. Il est, je pense, important de préciser que l’accord ne comprenait aucune transaction financière, Burckard Pohl a restitué les fossiles sans contrepartie ».

 

Les cheveux : des ébauches de plumes

 

Représentation artistique de Deinocheirus © Michael Skrepnick
Représentation artistique de Deinocheirus © Michael Skrepnick

Les travaux menés notamment à Bruxelles ont aussi permis de montrer que les « cheveux » que Deinocheirus mirificus portait sur la tête étaient en fait des ébauches de plumes. Ces structures sont également identifiables au niveau des poignets ainsi qu’au bout de la queue. Plus scientifiquement, cela apporte un crédit supplémentaire à la thèse défendue cet été par Pascal Godefroit dans la revue « Science ». Il y estimait que les plumes étaient potentiellement présentes chez tous les dinosaures.

 

« En 2012, des paléontologues canadiens ont pu démontrer que le corps des ornithomimosaures était recouvert de plumes primitives (ressemblant plutôt à de longs poils) et que les pattes antérieures formaient même probablement des petites ailes », précise le scientifique. « On sait maintenant que la plupart des dinosaures théropodes (groupe auquel appartiennent les ornithomimosaures dont Deinocheirus) étaient recouverts de plumes ».

 

Un dinosaure-autruche

 

Deinocheirus mesurait environ 11 mètres de haut et pesait 6,4 tonnes. Une stature qui en fait le plus grand ornithomimosaure (« dinosaure-autruche »), un groupe de théropodes très répandus au Crétacé (il y a 145 à 66 millions d’années). Les ornithomimosaures couraient généralement très vite, contrairement à Deinocheirus, plus lent. C’est ce qu’ont déduit les paléontologues en étudiant ses grands pieds et son bassin, conçus pour supporter son poids très lourd.

 

Les restes de poissons et les gastrolithes  (de petits cailloux avalés qui facilitent la digestion) permettent de supposer que Deinocheirus cherchait sa nourriture dans les rivières méandreuses du bassin de Nemegt en Mongolie. Il semble que ses larges orteils l’empêchaient de s’enfoncer dans la vase.

 

Deinocheirus se distingue également par une longue voile osseuse sur le dos. Cet « appendice » ne se retrouve chez nul autre ornithomimosaure, seulement chez des dinosaures éloignés, comme Spinosaurus et Ouranosaurus. Selon certains paléontologues, cette voile charnue jouait un rôle dans la régulation de la température corporelle. D’autres pensent que cet os supportait une bosse, comme chez le dromadaire ou le bison.

 

Ce dinosaure fait partie du groupe, majoritairement carnivore, des théropodes, auquel appartiennent notamment Tyrannosaurus et Velociraptor, dont descendent nos oiseaux.

 

 

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