Le physicien Amand Lucas dénonce la bienveillance envers l’attitude des scientifiques du IIIe Reich dans «Les savants d’Hitler et la bombe atomique», collection «L’Académie en poche». L’intention de ces atomistes était de s’auto-décerner un certificat de bonne conduite. De supériorité morale sur les chercheurs alliés.
«La question des origines de la création des armes nucléaires reste d’actualité en raison de la controverse persistante autour de l’attitude éthique post-conflit des savants allemands sous le régime nazi», explique le professeur émérite des Universités de Liège et de Namur.
«Mais c’est aussi en raison de la prolifération actuelle des armes nucléaires dont le mécanisme est resté à peu près le même que celui des origines».
Des activités «purement pacifiques»
Les savants du IIIe Reich déclaraient que leurs activités étaient purement pacifiques. Les destructions de la guerre ont fait disparaître bon nombre de leurs travaux. Mais il reste des transcriptions des enregistrements d’une partie des conversations prises à l’insu de dix chercheurs allemands détenus, de juillet 1945 à janvier 1946, à Farm Hall, une villa près de Cambridge en Angleterre.
Ces documents , classés Secret d’État par la Grande-Bretagne et les États-Unis, n’ont été rendus publics qu’en 1992. Sous la pression de la communauté scientifique internationale.
Amand Lucas se réfère à la rencontre de 1939, aux États-Unis, entre Einstein et le physicien budapestois Léo Szilard qui le prévenait du danger de la découverte de la fission de l’uranium à Berlin. Au dialogue entre le Danois Niels Bohr, le père de la physique moderne, et l’Allemand Werner Heisenberg à Copenhague en 1941. Aux lettres où Bohr, ne voulant pas coopérer avec les nazis, rétablit la vérité historique et désapprouve son ancien discipline et ami, prix Nobel de physique 1932. Heisenberg lui avait demandé s’il était possible d’organiser un boycott des recherches mondiales sur la fission militaire pour garantir à Hitler le temps d’obtenir l’arme décisive.
Trois atomistes enregistrés à leur insu
Le membre de la Classe des sciences de l’Académie royale de Belgique reprend aussi des paroles de trois des dix chercheurs internés à Farm Hall. Werner Heisenberg, codécouvreur de la mécanique quantique. Le chimiste Otto Hahn qui a découvert la fission de l’uranium en 1938. Et le physicien Carl Friedrich von Weiszäcker, assistant d’Heisenberg.
«Leurs conversations au moment même de la tragédie d’Hiroshima contiennent quelques-uns des propos les plus révélateurs quant à l’état d’esprit des savants allemands en tant qu’armuriers nucléaires d’Hitler. La tension dramatique est au cœur de ces confrontations entre des hommes face à leurs responsabilités de s’être impliqués, volontairement ou non, dans la création d’une arme à la fois apocalyptique et prometteuse de paix».
Weiszäcker rappelle que, déjà en 1939-1940, la bombe atomique n’avait jamais été exclue par les spécialistes qui travaillaient sous sa direction à l’Uranverein , l’association poursuivant les recherches, les applications industrielles et militaires de la fission. Tous ces scientifiques avaient recommandé le soutien des autorités militaires. Mais personne ne semblait pressé de développer un tel explosif. Selon Weiszäcker, c’est pour cette raison que les Allemands s’étaient fait doubler par les Anglo-Américains.
De son côté, Hahn pense que les Allemands auraient devancé les Américains et remporté la victoire si tous les physiciens l’avaient voulu. Niels Bohr a perdu l’estime du découvreur de la fission car il a fui les nazis en 1943. Rejoint les États-Unis pour participer à la première bombe atomique. S’il est autorisé à encore travailler sur l’uranium, Hahn préfère agir aux côtés des Anglo-Américains. Plutôt qu’avec les Russes.
Pour le bombardement atomique d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945… «La responsabilité morale des scientifiques alliés dans cette entreprise n’a guère fait l’objet de sévères questionnements post-conflit sauf évidemment au Japon»», constate Amand Lucas.
«La perspective d’un millénaire du IIIe Reich était tellement épouvantable pour le monde que les chercheurs n’exprimèrent que très rarement le regret d’avoir consacré leur talent dans cet objectif».