Série : Recherches belges à Vancouver (1/2)
La recherche menée à l’Université de Colombie-Britannique (UBC), dans le nord de la province du même nom au Canada, par le postdoctorant belge David Lefebvre, ne s’intéresse pas au pétrole. « Mon domaine d’expertise concerne un autre type de carbone : le biochar », annonce-t-il. « Un carbone issu de la combustion par pyrolyse de la biomasse dont on ne cesse d’explorer ces dernières années les divers attraits, notamment en ce qui concerne l’agriculture ».
Formé initialement à la Haute École Charlemagne à Huy (Master en agronomie des régions tropicales), ce Docteur en sciences de l’Université de Cranfield (Angleterre), mène depuis deux ans des recherches postdoctorales au sein du laboratoire de recherche en pédologie (SoilRes3) du Pr Jean-Thomas Cornélis, un autre Belge établi à l’UBC (Vancouver).
Ce laboratoire s’intéresse notamment aux pratiques agricoles ancestrales de peuples indigènes de Colombie-Britannique, dont les Kitselas.
Apprendre et réintroduire le savoir-faire des populations locales
David Lefebvre vient de mettre le cap sur leurs territoires avec quelques collègues. Cette mission de terrain se déroule dans la région de la rivière Skeena. Elle est destinée à étudier plus en détail le sol et ses utilisations au fil du temps par les populations indigènes.
« Notre but est de rencontrer des représentants des peuples indigènes, de discuter et d’apprendre ensemble à travers une approche de recherche qui se veut réciproque », souligne le chercheur wallon.
« Ils sont intéressés par le biochar et souhaiteraient réintroduire ce type de technique dans le contexte de leurs forêts jardins. L’idée est aussi d’investiguer ensemble comment leurs pratiques traditionnelles de feux contrôlés permettent la culture de baies tout en améliorant les propriétés du sol, le long d’une séquence allant de la rivière à l’étage alpin », précise-t-il.
« Les populations indigènes insistent sur l’importance de réintroduire les pratiques ancestrales au sein de forêts jardins. Pour y arriver, nous avons élaboré avec elles un petit appareil de production de biochar. Ceci afin de régénérer la pratique ancestrale d’amendement des sols via un mélange de biochar, de compost et de résidus de saumon ».
Une recette de production simple
La recette pour fabriquer du biochar est simple. Il suffit de faire brûler de la biomasse à haute température dans un environnement sans oxygène (pyrolyse). Exactement comme on le fait pour la fabrication du charbon de bois. Cela transforme sa structure et le rend non biodégradable.
« À la différence qu’ici, n’importe quelle source de biomasse autre que du bois peut être intéressante », reprend Dr Lefebvre. « On pense, par exemple, à des résidus d’agriculture qui ne sont pas valorisés autrement. »
« Au Burkina Faso, où j’ai mené diverses missions dans le cadre du projet Bioprotechsol (projet en collaboration avec l’Université Nazi Boni, les producteurs locaux et l’Université de Liège), nous avons travaillé sur les tiges de cotonnier. Ce bois est trop léger pour, par exemple, alimenter les cuisines. Plutôt que de pratiquer la culture sur brûlis, ce déchet peut devenir une ressource si on le transforme en biochar. Et que celui-ci est chargé en nutriments via un mélange avec du fumier et/ou des fertilisants ».
Dans ce cas bien précis, les tiges transformées en biochar servent comme amendement du sol. Grâce à son pH élevé, sa grande porosité et son pouvoir de rétention, le biochar peut augmenter la fertilité des sols. Et ce, surtout en milieu tropical, caractérisé par des sols fortement altérés. Mais surtout, ce biochar, qui est très poreux, va éviter, une fois incorporé au sol, la lixiviation de ses éléments nutritifs tout en augmentant la rétention en eau.
Dépollution des sols contaminés par l’orpaillage clandestin
Dans le cadre du projet au Burkina Faso mené en 2019, l’expertise du scientifique belge s’est concentrée sur la production de biochar de manière artisanale. Un brevet a également été pris pour la mise au point d’une cuisinière produisant du biochar.
Au Pérou, où le Dr Lefebvre a également travaillé, c’est un autre problème qui a mobilisé ses compétences : l’utilisation du biochar afin d’aider à la reforestation de l’Amazonie péruvienne, où les arbres sont victimes des effets de l’orpaillage illégal. Cette activité clandestine a grandement détérioré les sols. « Dans ce cas, il est apparu que les jeunes plants bénéficiant d’une dose de biochar se développaient mieux et plus rapidement que les arbustes plantés sans cet apport », dit-il. « Une autre partie du projet péruvien portait sur la dépollution des sols.»
Un carbone pur aux multiples attraits
Mais ce « charbon » n’intéresse pas que les agronomes. « Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet en 2015, seuls quelques articles scientifiques étaient publiés dans les journaux spécialisés. Actuellement, on en est quasiment à une centaine chaque semaine. Et cela touche à une kyrielle de domaines ! »
« Rappelons aussi que le biochar, c’est du carbone pur. Un carbone qui est testé dans des dizaines de domaines. Il peut notamment être utilisé dans la fabrication de super conducteurs d’électricité », précise David Lefebvre.
Des utilisations potentielles dans de multiples domaines
Comme c’est une éponge, une structure très poreuse, il accélère le processus de compostage. Dans les biométhanisateurs, son usage peut aussi augmenter la production de méthane. Au contraire, dans l’élevage, mélangé à la nourriture des ruminants, le biochar permet de diminuer la production de méthane entérique. Ajouté à la litière des élevages de volaille, il limite les émissions d’odeurs ainsi que la propagation des champignons et autres maladies…
C’est aussi un élément qui intéresse le secteur de la construction. Mélangé au ciment et au béton, il allège ces matériaux tout en conservant leur résistance mécanique et en les rendant plus « respirants ». Idem pour les enduits, le bitume…
Des sources de matières premières multiples à exploiter
« Toute la difficulté pour se lancer dans la production de biochar est de trouver une source suffisante et renouvelable de biomasse à transformer », pointe le Dr Lefebvre. « Des facteurs économiques et environnementaux sont également à prendre en compte. Le transport notamment. » Le circuit court est ici aussi attrayant.
« Rien qu’à l’Université de Colombie-Britannique, par exemple les déchets de jardin, les branches des arbres et arbustes élagués, pourraient constituer une source de matières premières intéressantes à valoriser (NDLR: le campus de Vancouver est effectivement gigantesque et particulièrement vert). Alors qu’actuellement, il faut payer pour s’en débarrasser. »
« Au Pérou, j’ai également pu m’intéresser à cette problématique. Les industries qui traitent les noix du Brésil avaient le même problème avec les coques. Ce déchet de production est partiellement utilisé (20 %) pour produire de la vapeur et cuire les noix. Les 80 % restants (des centaines de tonnes chaque année) sont incinérés ou rejetés dans le fleuve. Ce qui crée en aval d’autres problèmes, notamment environnementaux. C’est là une source magnifique pour produire du biochar.»
Un autre attrait du biochar porte sur sa capacité à capturer le carbone. « Transformer les déchets de biomasse en biochar pour ensuite l’intégrer au sol, utilisant des taux d’application réalistes et en le chargeant de nutriments, est une des techniques envisagées par le GIEC pour limiter les émissions de carbone dans l’atmosphère », pointe le chercheur.
Clairement, la « vague » biochar n’a pas fini de mobiliser les scientifiques.