« Investir dans le blé dur en Wallonie est une vision d’avenir, car les conditions climatiques vont y devenir de plus en plus favorables à cette culture», explique Walter Rodrigo Meza Morales, responsable du projet entourant cette céréale au sein du CRA-W (Centre wallon de recherches agronomiques).
Italie, Espagne, France, Grèce. Historiquement, les bassins de productions du blé dur sont concentrés sur le pourtour méditerranéen. En effet, contrairement au froment (aussi appelé blé tendre, largement cultivé en Belgique), cette céréale supporte mal les hivers froids et les étés humides qui furent longtemps l’apanage du nord de l’Europe. Mais sous l’effet du changement climatique, les zones propices à sa culture migrent progressivement vers des régions situées plus au nord. Notamment en Wallonie.
Si blé dur et blé tendre se ressemblent visuellement, ils se différencient toutefois par la structure interne de leur grain, appelée amande. L’amande farineuse du froment, une fois broyée, donne de la farine. Au contraire, l’amande du blé dur, vitreuse et cassante, donne de la semoule.

Nourrir les humains
L’intérêt d’implanter du blé dur en Wallonie réside notamment dans le fait qu’il est destiné à l’alimentation humaine, particulièrement sous forme de pâtes et de couscous. Seuls les co-produits – c’est-à-dire essentiellement la farine produite lors de l’écrasement des grains en semoule – seraient valorisés en aliments pour animaux. En France, une autre voie de valorisation des co-produits de semoulerie émerge en panification, notamment pour rendre la célèbre baguette un peu plus croustillante.
À l’inverse, le blé tendre est à près de 90 % utilisé pour produire du biocarburant au sein de l’industrie BioWanze et pour nourrir le bétail. Moins de 10 % seulement sont valorisés pour la consommation humaine. « Cette faible part s’explique notamment par l’organisation de la filière ‘blé tendre’. En Wallonie, les moulins sont généralement de petite taille et dépendent de structures de stockage capables de les approvisionner régulièrement. En Flandre, la situation est différente : les 4 ou 5 grands moulins s’approvisionnent directement par bateau avec du blé tendre produit à l’international », explique Walter Rodrigo Meza Morales.

Une culture d’avenir
Pour écraser le grain de blé dur, les moulins belges devront s’équiper d’autres moules. « Un projet allait dans ce sens pour les moulins du Val-Dieu. Parallèlement, plusieurs petites entreprises pastières en Wallonie transforment elles-mêmes leur blé dur en semoule grâce à leur propre petit moulin, afin de produire leurs pâtes artisanales. » Il y a donc déjà un intérêt local, bien qu’encore marginal.
« À l’avenir, la demande pourrait même venir de l’étranger. En effet, le changement climatique affecte fortement les régions historiques de production du blé dur. Dans certaines zones d’Italie, du Sud-ouest de la France ou encore autour de Marseille, la sécheresse rend la culture de cette céréale de plus en plus difficile. Progressivement, la production se déplace vers le nord. Cette baisse de l’offre dans le Sud, et donc de matières premières pour les fabricants de pâtes, pourrait jouer en notre faveur, en suscitant l’intérêt d’industriels étrangers pour notre production de blé dur », ajoute Walter Rodrigo Meza Morales.

Relocalisation alimentaire
Au CRA-W, l’intérêt pour le blé dur, avec de premiers essais exploratoires, a émergé en 2019, suite à quelques épisodes de canicules. « Un peu après, conséquence de la pandémie de Covid et de la fermeture des frontières, des fabricants de pâtes wallons qui importaient leur semoule de France ou d’Italie, se sont retrouvés sans matière première entre les années 2020-2022. Cette situation nous a incités à nous intéresser davantage au blé dur en vue d’en cultiver et d’établir une filière locale capable d’approvisionner ces petites industries », explique l’agronome. Et cette vision s’est encore renforcée avec l’invasion russe en Ukraine, le grenier à blé de l’Europe.
« Grâce à un projet visant les relocalisations alimentaires financé par la ministre Tellier (Ecolo) sous la précédente législature, la question des variétés a été approfondie. Sur la centaine de variétés de blé dur utilisées en Europe, nous en avons identifié quatre comme étant les plus propices pour une culture en Wallonie. »
Elles sont actuellement testées dans plusieurs petites parcelles en Hesbaye (en agriculture conventionnelle) et dans le Condroz (en culture biologique). La culture du blé dur est un peu plus technique que celle du blé tendre. C’est pourquoi des chercheurs du CRA-W s’emploient à élaborer un itinéraire technique, c’est-à-dire l’ensemble des pratiques agricoles – du semis à la récolte – qu’un agriculteur devra suivre pour réussir cette culture.
La sélection variétale est un long processus qui prend environ dix ans. Au CRA-W, un agent est chargé d’un programme de croisements visant à améliorer notamment la tolérance au froid et aux maladies des variétés de blé dur prometteuses. Les premières lignées devraient être prêtes en 2029 et pourront être utilisées à plus grande échelle dès 2030.