Le type de cancer de la peau le plus fréquent se développe préférentiellement du côté des oreilles, des plis du nez, plutôt que sur le dos. Un facteur environnemental amènerait les cellules oncogènes à donner naissance à des tumeurs à certains endroits plutôt qu’à d’autres. Cette découverte vient d’être faite par des chercheurs du laboratoire des cellules souches et du cancer du Pr Cédric Blanpain, à l’Université libre de Bruxelles.
Le collagène, cette protéine fibreuse qui donne une structure aux tissus, en serait la cause. Une densité trop faible de collagène dans la peau favoriserait la transformation de cellules oncogènes (mutées) en une tumeur. Alors qu’une densité élevée de cette protéine ferait barrière à la formation d’un carcinome basocellulaire.
La densité des fibres est un élément-clé
« On a remarqué que pour la peau des oreilles, où la densité de collagène est plus faible, les cellules oncogènes se développent en profondeur dans le derme et y produisent des tumeurs », explique le Pr Blanpain. « Alors qu’en ce qui concerne la peau du dos, les cellules oncogènes s’étendent en surface, sans pénétrer dans le derme, et restent inoffensives.»
Les recherches menées sous la direction du Pr Blanpain par le Dr Nordin Bansaccal, pédiatre à Saint-Luc (UCLouvain), mais qui a mené son doctorat au laboratoire des cellules souches et du cancer de l’ULB, ont porté sur des souris.
Le chercheur (FNRS/Fria) a inséré le gène de ce cancer chez des souris. Celles-ci devaient normalement développer un carcinome basocellulaire. Il a remarqué que les cellules mutées, oncogènes des oreilles développaient davantage de tumeurs que celles repérées sur le dos des animaux.
La recherche et l’identification de cette différence ont amené le chercheur à regarder ailleurs que dans la machinerie cellulaire pour en identifier la cause. Les taux différents de collagène se sont alors imposés.
La microscopie intravitale comme révélateur
Les analyses ont été réalisées dans le derme des souris vivantes, grâce à une technologique assez unique: la microscopie intravitale. Elle a permis d’observer l’évolution cellulaire chez les rongeurs, mais aussi leurs taux de collagène.
« Cette technique de microscopie très pointue permet d’obtenir des images très précises, au niveau de la cellule, et en profondeur dans le derme d’un animal vivant, sans lui prélever des coupes de tissus. Cela a permis de suivre l’évolution de la situation dans le temps », explique Nordin Bansaccal.
« Ce microscope envoie des photons à des niveaux d’énergie tels qu’ils sont moins absorbés par les tissus, ce qui permet de voir plus en profondeur », précise-t-il. « Couplé à ce microscope, nous disposons aussi d’un système d’anesthésie pour les souris. Ce qui permet de les calmer pendant l’examen. Nous avons ainsi pu regarder exactement où nous le voulions, cellule par cellule! Et recommencer ce genre d’examen sur les mêmes spécimens, chaque jour de la semaine si cela s’avérait nécessaire. »
Cerise sur le gâteau, ce microscope assez unique (il n’en existerait que cinq dans le monde, selon le Pr Blanpain), acquis grâce à un coup de pouce de la Fondation contre le cancer, permet aussi de visualiser les fibres de collagène et leur structure, grâce à l’utilisation d’un laser.
Agir sur d’autres facteurs environnementaux
La découverte faite à l’ULB sur des souris trouve un champ d’application chez l’être humain. « Chez nous, les cancers de la peau ne se produisent pas n’importe où », souligne le Pr Blanpain.
« Ils se développent préférentiellement au niveau des oreilles, au niveau des plis du nez, là où le taux de collagène est le moins dense. Mais également dans des régions fortement exposées aux rayonnements ultraviolets, qui sont un important facteur de risque. Nos collègues de l’Institut de pathologie de l’hôpital Erasme sont en train d’analyser avec un regard neuf les cas de cancers qu’ils ont traités ».
« Notre étude démontre que la composition de l’environnement extracellulaire régule la compétence régionale à donner naissance à un cancer », indique le Pr Blanpain.
« Nos données sont pertinentes pour comprendre la formation du cancer chez l’être humain. Les futures études seront importantes pour identifier dans d’autres tissus les facteurs qui favorisent ou limitent la formation de tumeurs. Comme les cellules adipeuses, les muscles, les vaisseaux sanguins. Cela pourrait être n’importe quoi d’autre. Des facteurs sur lesquels on pourrait peut-être agir et ainsi pouvoir rendre plus résistant un tissu qui est d’habitude susceptible de développer des tumeurs. On parle ici de nouvelles stratégies de prévention pour diminuer la formation de cancer », conclut-il.