Des oscillations pilotent le cerveau

24 décembre 2020
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes

L’intelligence artificielle (IA) rivalise avec l’intelligence naturelle. «Quoique noble, cette compétition, soutenue par la finance, oublie que nous ne sommes qu’au début d’une véritable compréhension des mécanismes fondamentaux du fonctionnement cérébral», réagit le neurophysiologiste Guy Cheron.

«Aucun ordinateur n’a été jusqu’à présent capable d’assumer la régulation homéostatique d’un corps humain en mouvement tout en assurant un flux de pensée quasi permanent. Soutenu par l’activité, consciente et inconsciente, une plasticité et une créativité sans limite.»

“Les oscillations neuronales”, par Guy Cheron. Collection L’Académie en poche. VP 7 euros, VN 3,99 euros

Le professeur à la faculté des sciences de la motricité de l’ULB et à la faculté des sciences de l’éducation de l’UMons défend une conception dynamique du fonctionnement cérébral dans «Les oscillations  neuronales» de la collection «L’Académie en poche». Un passage obligé pour comprendre les mécanismes du cerveau.

L’oscillation alpha au cœur du fonctionnement

Le fonctionnement cérébral est basé sur des processus oscillatoires… «Ce fait est encore complètement ignoré par beaucoup de ceux qui glosent sur le cerveau, ses propriétés et ses pathologies», constate le chercheur.

L’article du neuroscientifique Rodolfo Llinás Riasco, publié en 1988, de l’American Association for the Advancement of Science, a accéléré la reconnaissance de ces oscillations. «La toute grande majorité des fonctions cérébrales peut être pilotée à partir d’une gamme étendue d’oscillations pouvant rentrer en interférence et produire des états mentaux différents», précise Guy Cheron. «Allant de l’éveil au sommeil profond, au rêve. Au passage de la sensation à l’action, à la réflexion.»

Au tournant de l’année 2000, le développement de l’électroencéphalographie (EEG) permet d’aborder de plus près les mécanismes oscillatoires. D’étudier les variations de puissance et de phase des différentes oscillations de l’activité électrique du cerveau. Une augmentation de puissance accroît la synchronie des neurones à l’origine de l’oscillation. Une diminution, la désynchronisation.

«En tant que rythme dominant s’étendant sur l’ensemble du cortex, il n’est pas étonnant que les oscillations alpha soient au centre du fonctionnement mental», explique le directeur du Laboratoire de neurophysiologie et de biomécanique du mouvement de l’ULB et du Service d’électrophysiologie à l’UMons. «Et qu’elles puissent intervenir dans la plupart des comportements en fonction de la situation de leurs générateurs neuronaux.»

«Une autre fonction importante de l’oscillation alpha est l’influence que sa phase peut avoir sur le fonctionnent du réseau neuronal sous-jacent», ajoute le neurophysiologiste. «On a pu constater, par exemple, que la performance d’un geste est dépendante de la phase de l’oscillation alpha qui précède son exécution.»

Chez les astronautes

Sous l’impulsion d’Alain Berthoz, pionnier des neurosciences vestibulaires et spatiales, membre associé de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique, Guy Cheron a participé aux missions Neurocog et Neurospat de l’Agence spatiale européenne (ESA). Il a étudié les oscillations cérébrales des astronautes dans la Station spatiale internationale (ISS).

«Ce fut, et c’est toujours, une aventure scientifique formidable avec comme toile de fond la question cruciale de la vie de l’homme en dehors du l’environnement terrestre», raconte l’expert en neurosciences spatiales. «Le cerveau privé d’attraction terrestre semble apprécier cette nouvelle situation. Nous avons démontré que l’oscillation alpha n’était pas altérée, mais au contraire renforcée. Lors d’un test simulant l’arrimage d’un vaisseau spatial à l’ISS, le rythme alpha, enregistré au niveau du cortex sensori-moteur controlatéral à la main active, présente une réduction de puissance dès l’apparition à l’écran de l’ISS. Alors que le rythme bêta de la même région présente cette réduction de puissance seulement lorsque la main sera active.»

Avec son ami, Paul Verbanck, professeur de psychiatrie à l’ULB, Guy Cheron a développé des possibilités diagnostiques et thérapeutiques de l’électrophysiologie en neurologie et en psychiatrie. «Associées au développement exponentiel de la capacité de calcul de l’IA, les neurosciences intégratives devraient être le fer de lance d’une véritable neuro-révolution au service de l’humanité», conclut le neurophysiologiste.

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