Le devenir politique des humains

25 mars 2025
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes
“Rendre le vivant politique”, par un collectif de chercheuses et chercheurs, sous la direction de Virginie Arantes. Éditions de l’Université de Bruxelles. VP 26 euros

Le travail collectif «Rendre le vivant politique» donne un nouveau souffle aux discussions sur les modes d’existence. En s’appuyant sur les recherches en sciences sociales qui étudient la place du vivant en politique. Paru sous la direction de Virginie Arantes aux Éditions de l’Université de Bruxelles, dans la collection de la Maison des sciences humaines (MSH) de l’ULB, cette approche s’adresse particulièrement aux militants et aux universitaires soucieux de nourrir leur action et leur pensée.

Le vivant, objet de politique

Le titre du livre peut sembler étrange conviennent Virginie Arantes, chargée de recherches au Fonds de la recherche FRS – FNRS. Krystel Wanneau, collaboratrice scientifique au REPI, le centre de recherche et d’études en politique internationale de l’ULB. Et Éric Fabri, chargé de recherches FRS-FNRS au Centre de théorie politique (CTP). «Si nous l’avons choisi, c’est que le vivant est le lieu d’une singularité. Bien que la vie ne soit pas le monopole des humains, le vivant ne devient objet du politique que lorsque son existence se lie à celles de ces derniers.»

«Ceci a pour conséquence que le devenir politique du vivant dans sa totalité se saisit toujours depuis la perspective humaine. En témoigne, par exemple, la notion d’environnement qui fait du vivant un théâtre dont l’humain est le centre. Et dont le décor se détériore à vue d’œil.»

Des rapports de force

Virginie Arantes souligne les rapports de force en jeu, à petite et grande échelle. «Dans un contexte urbain comme Bruxelles, des espaces verts peuvent devenir des outils d’exclusion sociospatiale, privilégiant certains groupes au détriment d’autres.»

«La dynamique de politisation du vivant prend également des formes corporatives. L’exemple de Total Énergies, qui monopolise des terres agricoles au Congo pour planter une forêt dans le but de compenser une empreinte carbone, révèle comment le vivant peut être approprié à des fins industrielles et capitalistes.»

Au fil de ses recherches et de ses observations sur le terrain, la docteure et chercheuse en sciences politiques et sociales de l’ULB a appris à connaître le contexte chinois, ses parcs nationaux. Elle focalise son attention «sur la façon dont la politique du gouvernement chinois se construit autour d’entités plus qu’humaines, spécifiquement, via un déploiement de la nature qu’elle utilise dans la reproduction de son pouvoir.»

«À une époque où la démocratie libérale est de plus en plus contestée par la montée de nouvelles puissances telles que la Chine, mais aussi par l’essor des discours d’extrême droite partout en Europe, d’importantes questions théoriques s’ouvrent dans l’interprétation de l’entrée du vivant en politique.»

Prendre conscience ne suffit pas

Les catastrophes écologiques invitent à une prise de conscience écologique. Mais prendre conscience ne suffit pas pour les chercheurs Emmanuel Charreau (CTP) et Marc-Antoine Sabaté (UCLouvain Saint-Louis). Auteurs de trois thèses pour un autre devenir.

«Si prendre conscience ne signifie que se sentir concerné, l’écho croissant rencontré par les problématiques du vivant risque de ne mener qu’à des changements individuels et essentiellement esthétiques», jugent les chercheurs. «Car ce qui pose problème aujourd’hui est moins l’absence de connaissances que leur traduction en actions collectives.»

«Les formes de prise de conscience affective et quotidienne appellent une mise en forme politique. À commencer par des réorganisations collectives, portant non seulement sur l’écologisation immédiate de la vie quotidienne, mais aussi sur l’engagement de luttes politiques et sociales aux différentes échelles pertinentes de temps et d’espace. Faute de quoi, ces affects pourraient aussi bien alimenter la défiance à l’égard de toute organisation collective. Favorisant des stratégies de repli individuel ou, au contraire, renforcer les demandes d’autorité en tous genres.»

Revivifier la politique

Selon le professeur de philosophie Philippe Caumières, associé à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, «il apparaît essentiel et urgent, non de rendre le vivant politique, mais bien de revivifier la politique que nous envisageons comme l’activité proprement humaine visant les institutions sociales. Ce n’est pas là défendre un anthropocentrisme d’un autre âge. Mais simplement rappeler ce qui a été mis à mal par la dynamique néolibérale ayant placé le marché au centre de toutes nos pratiques.»

Par politique, le chercheur entend «l’activité collective lucide et réfléchie qui, dégagée de tout dogme ou de toute autorité supérieure, est en mesure de mettre en cause les institutions établies pour définir elle-même les orientations à suivre. Activité qui est bien l’affaire des humains et des humains seulement. N’en déplaise au primatologue Frans de Waal qui évoque, sans rire, l’activité politique des grands singes».

Haut depage