L’évolution a favorisé l’inhibition

25 juin 2020
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min

Dans «L’inhibition créatrice» aux éditions Odile Jacob, Alain Berthoz décrit l’action des inhibitions et des désinhibitions. Décode leurs processus physiologiques, créés par hasard au cours des millions d’années de l’évolution du vivant.

Le professeur honoraire au Collège de France, membre associé de la classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique aborde l’intervention des mécanismes cérébraux. Notamment des neurotransmetteurs inhibiteurs qui s’opposent aux neurotransmetteurs excitateurs, comme le glutamate.

"L'inhibition créatrice" par Alain Berthoz. Editions Odile Jacob. VP 27,90 euros, VN 22,90 euros
« L’inhibition créatrice » par Alain Berthoz. Editions Odile Jacob. VP 27,90 euros, VN 22,90 euros

Essentiel pour survivre

Le neurophysiologiste s’est longtemps retenu avant de faire ces réflexions. Aujourd’hui, il désire participer au débat au moment où la confusion se répand entre intelligence artificielle et intelligence humaine.

«Cet ouvrage n’est qu’un essai soumis au jugement de celui, ou celle, qui voudra bien le parcourir», précise le Pr Berthoz. «Je cherche simplement à intéresser le lecteur à l’une des plus essentielles propriétés du vivant. Elle nous permet aussi bien de survivre que de penser et de vivre en société. D’être empathique, tolérant. De créer ou d’innover. Elle nous offre aussi des moyens de faire face à l’improbable.»

Contrairement à une idée souvent répandue, le chercheur soutient que l’inhibition permet la flexibilité, la décision, le choix. «Elle est présente à tous les niveaux du fonctionnement des organismes vivants. Depuis le niveau moléculaire jusqu’aux aspects les plus cognitifs, culturels, sociaux et éthiques. Je vais essayer de montrer les pouvoirs qu’a l’inhibition de contribuer à la liberté de choix dans des situations improbables. Pour lesquelles aucun comportement inné ou acquis n’est disponible. Ou qui suscitent la surprise.»

Plusieurs sections du «livre atelier» ont été rédigées par des collègues et amis de l’expert en physiologie des grands systèmes sensoriels.

Arrêter, retarder, déclencher

L’idée que l’inhibition joue un rôle primordial n’est pas nouvelle. Au XIXe siècle, des physiologistes comme Pavlov étudient les bases neurales où excitations et inhibitions sont en compétition. Freud attribue à l’inhibition un rôle de refoulement d’expériences conscientes vers l’inconscient. Ou de défense contre des expériences génératrices d’angoisse.

Les inhibitions sollicitent le cerveau quand il s’agit de choisir, par exemple, entre précision dans l’action et rapidité de la réponse. Arrêter, retarder ou déclencher une action nécessite une coopération entre les deux hémisphères cérébraux. Chaque aire du cerveau participe à l’équilibre ou à la compétition excitation-inhibition. Des mécanismes de désinhibition, favorables à la coordination et à l’apprentissage, sont situés dans le cervelet.

Pour Alain Berthoz, «Le défi principal des neurosciences modernes est de comprendre quel traitement est réalisé dans telle ou telle aire du cerveau. L’imagerie cérébrale n’est pas suffisante pour nous éclairer sur cette question. Au moment où ce livre paraît, nous ne savons toujours pas exactement quels sont les traitements que le cervelet effectue. Malgré 50 ans de travaux.»

Les bases neurales des décisions sont l’objet d’un grand nombre d’études. Leur richesse est une des causes profondes du succès de l’homme. Mais des perversions historiques, culturelles et sociales sont aussi dues à l’inhibition et à ses abus.

Mentir à la carte

Le mensonge est une forme élaborée de perversion. Il est difficile d’identifier ce qui est dû à l’inhibition de la vérité et à la construction de scénarios mensongers.

«Le mensonge n’est pas distribué de façon homogène dans les relations sociales», souligne le neurophysiologiste. «Par exemple, on ne ment pas autant suivant la proximité sociale, envers ses amis ou de simples relations de travail. On observe des paradoxes. Parfois, on aura tendance à mentir plus facilement à un ami si cela peut l’aider. La propension à mentir dépend aussi du niveau intellectuel. Les personnes les plus intelligentes et extraverties ont tendance à mentir plus. Sans doute en raison de leur capacité à manipuler les points de vue. Et à mettre en jeu des fonctions exécutives qui donnent une flexibilité plus grande favorable à la construction de scénarios fictifs. L’activation des régions préfrontales est sans doute le reflet de cet aspect du mensonge.»

Le scientifique pense que l’évolution a utilisé les inhibitions pour pouvoir s’adapter aux changements d’environnement. Échapper à des proies. Construire des mondes imaginaires. «L’inhibition aide à se rassurer en gardant une liberté sans laquelle l’individu sombre dans la dépression et le désespoir», précise le Pr Berthoz. «Développer les facultés que l’inhibition nous offre est un beau projet pour l’avenir».

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