Direction Qubbat al-Hawā, un site proche de la ville d’Aswan dans le sud de l’Egypte. Là, dans une tombe encore intacte, ont été découverts dix crocodiles momifiés. En mars 2022, ils ont été étudiés in situ par deux archéozoologues de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique. Ils dateraient de quelque 300 ans avant notre ère, ce qui en fait les plus vieilles momies de crocodile jamais trouvées, et appartiendraient à deux espèces différentes.
Contexte clos, non perturbé
Les Egyptiens antiques sacrifiaient des crocodiles pour les offrir à Sobek, leur dieu de la fertilité et de l’eau, représenté par un crocodile ou par un homme portant une tête de crocodile.
Ainsi, pas moins de 20 cimetières avec des momies de crocodiles sont connus en Egypte. De plus, un centre pour le culte de Sobek se trouvait à Kom Ombo, à 50 kilomètres de Qubbat al-Hawā. Si ce n’est donc pas la première fois que des momies de crocodiles sont mises au jour en Egypte, la particularité de cette découverte-ci – réalisée en 2019 par des archéologues espagnols de l’Université de Jaén – tient dans le fait qu’elles étaient conservées dans une tombe fermée et intacte. Et que les momies n’étaient pas imprégnées de bitume, un produit conservateur qui limite drastiquement le champ d’étude à la seule radiographie.
« Trouver 10 crocodiles momifiés et bien conservés dans un tel contexte clos, c’est unique et extraordinaire », s’enthousiasme Bea De Cupere, archéozoologue à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), qui a mené cette étude avec son collègue Wim Van Neer. « Il y a 5 individus avec la tête et le corps plus ou moins entier, ainsi que 5 crânes isolés. »
Momification à risque
Trois des squelettes sont presque complets, alors qu’il manque certaines parties aux deux autres. Pour expliquer cela, Bea De Cupere évoque la technique de momification employée à l’époque.
« Nous savons des iconographies que les crocodiles étaient surtout capturés à l’aide de filets. Aucune trace d’abattage n’a été trouvée sur les momies de Qubbat al-Hawā. Ils ont probablement été noyés, suffoqués ou surchauffés par exposition prolongée au soleil. Une fois morts, les animaux ont été soit mis à sécher au soleil, soit enterrés dans des puits de sable. Et ce, afin de permettre un séchage naturel. Une fois sèches, les dépouilles ont été retirées ou exhumées, enveloppées dans un bandage de lin et transportées jusqu’à la tombe. »
« Lors de ce processus de momification, des crocodiles dans un moins bon état ont probablement perdu des éléments de leur squelette. »
Peau et viscères
A noter encore, que l’un des crocodiles présente un squelette complet avec la peau toujours présente ! Cela a été possible grâce aux conditions de conservation très sèches qui règnent là-bas, et l’absence d’insectes destructeurs.
« Par ailleurs, nous avons trouvé des gastrolithes dans sa dépouille. Il s’agit des petites pierres que les crocodiles avalent – et qui restent dans leur intestin – pour avoir davantage d’équilibre dans l’eau. Elles sont des indices révélant que les intestins n’ont pas été enlevés ou que partiellement. De plus, aucune indication de dissection dans le ventre n’a été trouvée.»
Datation sur base d’observations
Le site de Qubbat al-Hawā est une colline formée de couches de roches sableuses, dans laquelle ont été creusées des tombes pour enterrer des notables de la région. Il y en a 6 dans les environs proches de la petite tombe où furent découverts les cinq squelettes et les cinq crânes de grands crocodiles.
«Au 6e siècle avant notre ère, les tombes pour humains ont été réemployées pour enterrer d’autres personnes. Il est probable que la tombe des crocodiles fut elle aussi réutilisée, bien qu’on n’y ait trouvé rien d’autre que ces animaux. Ensuite, après le 5e siècle avant notre ère, le site a été abandonné pendant plusieurs siècles, avant d’être à nouveau utilisé durant la période byzantine (laquelle débute dès 330 après Jésus-Christ) », précise Dre De Cupere.
« Sur cette base, nous estimons que les tombes renfermant des humains et des crocodiles datent toutes de l’ère pré-ptolémaïque, soit avant 304 avant Jésus-Christ. Cela signifie que ces momies sont plus anciennes que le centre de culte au Dieu Sorek à Kom Ombo, à 50 kilomètres de là. »
« Pour vérifier notre estimation, nous aimerions réaliser des datations au radiocarbone (14C). Mais cela semble difficilement réalisable, car l’exportation d’échantillons hors d’Egypte est quasi impossible. Ou alors, il faudrait trouver un endroit où faire les mesures sur place, et cela n’est pas une sinécure. »
Identification morphologique
De même, des analyses ADN des momies permettraient de confirmer les identifications taxonomiques réalisées par les chercheurs de l’IRSNB.
Le plus petit crocodile mesure 1,8 m de long et le plus grand 3,5 m. Les chercheurs les font appartenir à deux espèces distinctes : crocodile du Nil et crocodile d’Afrique de l’Ouest.
Les archéologues ont trouvé des traces de lin, des feuilles de palmier et de la corde associées à certains des crocodiles, indiquant qu’ils ont jadis été enveloppés. « Les bandages en lin ont dû pourrir ou être dévorés par des insectes, car ils ont pratiquement disparu. Par ailleurs, les embaumeurs n’ont pas imprégné les momies de bitume, un produit de conservation. Les momies étaient ainsi en très bon état pour être étudiées en profondeur », explique Dre De Cupere.
« Ayant eu accès aux ossements et aux crânes, nous avons pu les mesurer et les étudier. C’est sur cette base morphologique que nous avons identifié ces deux espèces. Si aujourd’hui, le crocodile d’Afrique de l’Ouest n’est plus présent en Egypte, nous savons, grâce aux récits d’Hérodote, que cette espèce y était bel et bien présente avec celle du Nil au 5e siècle avant notre ère. »