Quelle carrière après le doctorat?

25 septembre 2015
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 8 minutes

SERIE (5) Voyage au pays du doctorat

 

Après la défense d’une thèse, le jeune scientifique, qui théoriquement se destine à une carrière de chercheur, se retrouve confronté à un double choix. Soit il (ou elle!) continue à développer ses travaux/recherches via un ou plusieurs postdoctorats, soit il se retrouve sur « le marché du travail ».

 

« Cinq ans après avoir bouclé leur doctorat, seuls 33% des chercheurs sont encore actifs dans le milieu académique », constate Karl Boosten, de la Politique scientifique fédérale (BELSPO). Karl Boosten a participé, avec l’Université de Gand, au volet belge de la vaste étude de l’OCDE sur la carrière des docteurs. « En Belgique, ces 33% de docteurs diplômés travaillent souvent en tant que chercheur postuniversitaire, avec contrat de travail temporaire », indique M. Boosten.

 

L’étude “Careers of Doctorate Holders” s’est intéressée aux carrières de docteurs issus d’une vingtaine de pays européens. La Belgique a participé pour la première fois à cette étude en 2006. Les quelques résultats présentés ici sont issus de l’étude suivante, réalisée en 2010.

 

Des débouchés dans le privé 

 

« Le deuxième secteur d’emploi pour les docteurs diplômés, après le monde académique, c’est l’industrie », précise Karl Boosten. « Elle attire 22,7% des docteurs. Le service public, offre un travail à près de 11,7% de docteurs et se place en troisième position. Viennent alors les hôpitaux et l’enseignement supérieur non universitaire (7,6 %) puis le secteur non marchand et l’enseignement secondaire ».

 

La proportion de docteurs employés à l’université diminue avec le temps écoulé depuis l’obtention de leur thèse de doctorat. (source: « Careers of Doctorate Holders ») Cliquer pour agrandir
La proportion de docteurs employés à l’université diminue avec le temps écoulé depuis l’obtention de leur thèse de doctorat. (source: « Careers of Doctorate Holders ») Cliquer pour agrandir

 

Une étude réalisée auprès d’anciens boursiers « FRIA » du F.R.S-FNRS montre par ailleurs que la majorité de docteurs trouve un travail dans les trois mois de l’obtention de leur diplôme.

 

un emploi apres le doctorat FRIA

 

Tranches de vie

 
 

Virginie a 42 ans. Elle a bouclé son doctorat en Science en 2009. Après un postdoctorat en Belgique, elle a multiplié des boulots sans rapport direct avec sa formation. Depuis deux ans, elle s’est lancée dans le journalisme comme indépendante.
 

Manu est sur un petit nuage (académique). Après ses études en Belgique, il a été recruté par une organisation scientifique internationale et a travaillé de longues années à l’étranger. Quand l’envie de rentrer au pays s’est fait ressentir, il a décroché du premier coup un mandat de chercheur qualifié du F.R.S.-FNRS. En clair, il est « nommé » définitivement dans une université du pays pour y faire de la recherche, et son « salaire » est payé par le Fonds de la Recherche Scientifique.

 

Cette situation idéale, Véronique en rêve, ou du moins en rêvait. Cette mère célibataire âgée de 46 ans a bouclé son doctorat en 2000. Elle a ensuite enchainé les postdoctorats en Belgique et à l’étranger. Aujourd’hui, elle est quasi sans emploi et s’interroge: « Vais-je continuer dans la recherche? C’est mon souhait. Mais ma situation personnelle me fait réfléchir sérieusement à d’autres pistes. L’enseignement peut-être? ».

 

Damien est docteur en gestion. Il s’est d’abord frotté à la carrière académique. Depuis sept ans, il a filé vers le privé, où il s’épanouit.

 

Le témoin : Amaël Poulain est en plein doctorat à l’UNamur. Il voit l’avenir avec confiance.

 

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Des compétences transversales

 

Comment expliquer que les docteurs trouvent relativement facilement et rapidement du travail, alors qu’a priori il s’agit de personnes hyperspécialisées dans un tout petit champ scientifique: celui de leur thèse?

 

« Il y a parfois une mauvaise perception du profil des docteurs et de leurs atouts », estime le Ministre Jean-Claude Marcourt, en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de la FWB.

 

« Les docteurs peuvent effectivement apparaître comme des spécialistes dans un domaine trop pointu pour un employeur non académique. L’entreprise peut avoir l’impression qu’elle a en face d’elle une personne surqualifiée, dont elle pense ne pas avoir besoin. C’est une erreur. Au terme d’un doctorat, le scientifique a non seulement démontré qu’il était capable d’effectuer des recherches de pointe, mais qu’il avait aussi la capacité de mener à bien un projet complexe, qu’il dispose de capacités de gestion, de réflexion, de prise en charge de processus complexes ».

 

Les atouts de la formation doctorale

 

D’où viennent ces atouts complémentaires ? « Du fait que les docteurs bénéficient en marge de leurs travaux liés à leur thèse d’une formation transversale complémentaire, la formation doctorale », explique Marie Welsch, sociologue du travail et gestionnaire du doctorat à l’Université catholique de Louvain (UCL).

 

« Jusqu’à présent, les universités ont surtout valorisé la recherche et les résultats de la recherche », continue Marie Welsch. « Désormais, nous entendons aussi valoriser le doctorat plus globalement et montrer la place qu’occupent les chercheurs dans la société », précise-t-elle.

 

Les universités savent pertinemment bien qu’elles n’offriront pas de perspectives de carrières à l’ensemble de leurs futurs docteurs. Elles ont dès lors mis en place cette formation doctorale. Elle apporte diverses compétences complémentaires aux doctorants.  C’est ce qui rendrait, notamment,  les docteurs si compétitifs sur le marché du travail.

 

Comme une impression de « fabriquer des chômeurs »

 

Chez I-Movix, une PME de la région montoise, trois docteurs ont été engagés coup sur coup, pour assurer le bon démarrage de l’entreprise.

 

« En réalité, nous ne nous intéressions pas directement au diplôme des candidats, précise Nathalie Vinchent, responsable des ressources humaines chez I-Movix. Ce sont surtout les compétences de ces docteurs qui nous intéressaient. Des compétences développées principalement en électronique, en traitement d’images en informatique ou encore en gestion ».

 

Le Pr Pierre Sonveaux, spécialiste des métastases du cancer et Chercheur qualifié F.R.S.-FNRS à l’Institut de Recherche Expérimentale et Clinique de l’UCL, accueille de nombreux doctorants dans son laboratoire. En ce qui concerne leur avenir, il fronce les sourcils. « J’ai parfois l’impression de fabriquer des chômeurs », confie-t-il.

 

Les chiffres de l’enquête belge sur les carrières des docteurs montrent heureusement le contraire. Seuls 2,5% des participants à cette enquête ne travaillaient pas à ce moment-là.

 

Revaloriser le salaire des chercheurs

 
« Il reste que selon les domaines, les perspectives de carrières académiques sont faibles », reprend le Pr Sonveaux.

 

« Chez nous, il y a beaucoup d’incitants à commencer une thèse, mais pas pour rester ensuite dans la carrière académique. Le problème est que lorsqu’on a des étudiants brillants, qu’on les forme, qu’ils produisent des articles scientifiques, qu’ils sont prêts, après un postdoctorat, à devenir chef de laboratoire, on a envie de continuer à travailler avec eux. Mais faute de moyens, ils partent. Et ils partent bien souvent à l’étranger. Résultats: on les perd.

 

La question du statut du chercheur

 
« Vu nos contraintes budgétaires, nous ne disposons pas d’assez de moyens pour augmenter le nombre de chercheurs qualifiés », rétorque le ministre Marcourt. « Et actuellement, et pour les quelques années à venir, nous sommes aussi face à un problème lié à la pyramide des âges des chercheurs permanents que nous finançons, via le F.R.S-FNRS. »

 

« Il y a actuellement, et toutes proportions gardées, beaucoup de chercheurs qualifiés et de directeurs de recherche en fin de carrière. Dans les trois à cinq ans qui viennent, ils vont commencer à partir massivement à la retraite. Cela va libérer des postes pour de nouveaux chercheurs. Nous explorons diverses pistes pour tenter de dégager dans l’intervalle des moyens d’engager des jeunes chercheurs supplémentaires ».

 

La piste des mandats de chercheurs à durée limitée

 

Ne faudrait-il pas aussi penser à revoir, voire à préciser le statut du chercheur en FWB? Les chercheurs qualifiés et les autres postes permanents sont effectivement « bloqués » jusqu’à l’âge de la retraite des scientifiques qui en bénéficient. Ne devrait-on pas imaginer des mandats limités dans le temps, de cinq à dix ans, éventuellement renouvelables? Cela se fait déjà ailleurs, et pas très loin de la FWB.

 

« La question concerne surtout ceux qui se retrouveraient à un moment éjectés du système », estime Jean-Claude Marcourt. « L’avantage d’un mandat à 5 ans est que si un chercheur « pantoufle », il n’est pas renouvelé. L’avantage du système actuel, avec ses chercheurs nommés à vie, est qu’il libère le chercheur de la contingence matérielle. Par ailleurs, la protection de la nomination évite aussi la pression sur la publication, sur d’autres dérives. »

 

Le risque : la fuite des cerveaux

 

« Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas réfléchir à cette problématique », continue le Ministre. « Mais si on évolue vers des mandats à terme, nous devons aussi penser à ce qui suivra pour les chercheurs qui quitteront ce circuit. Il faut leur proposer des perspectives, des alternatives ».

 

« On ne peut pas les envoyer dans le mur. Surtout si avant cela, on leur a demandé de sacrifier leurs 15 meilleures années de productivité scientifique.  Que fait-on avec ces chercheurs âgés de 45 ans et plus qu’on ne reprend plus et qu’on propulse soudain sur le marché du travail? »

 

« Si un tel système devait être mis en place, sans garantir de perspectives professionnelles en ce qui concerne le moment où on risque de devoir en sortir, cela créerait immédiatement un biais. Nous allons d’emblée nous priver d’une série de chercheurs, peut-être les meilleurs, qui vont préférer poursuivre un autre type de carrière, directement dans l’industrie par exemple ».

 

Cette réflexion sur le statut du chercheur vient tout juste de démarrer au cabinet du Ministre. « Nous devons d’abord réfléchir à ce qu’est réellement une carrière de chercheur, dit encore Jean-Claude Marcourt. Et aussi… veiller à ne pas l’entraver.  Au risque sinon de voir nos cerveaux partir vers d’autres horizons ».

 

 

NOTE: Cette enquête sur le doctorat en Belgique francophone a été soutenue par le Fonds pour le journalisme de la FWB.

 

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