L’essor du coaching, symbole d’une société en mutation ?

25 septembre 2024
par Camille Stassart
Temps de lecture : 4 minutes

Le « coaching », longtemps associé au milieu sportif, a depuis quelques années investi de nombreux autres pans de la société. On trouve aujourd’hui des « coachs » en entreprise, en développement personnel, en parentalité, en éducation… Une offre qui répond à un plus grand besoin d’accompagnement du public, dans un monde jugé de plus en plus complexe.

Qualifié d’effet de mode par certains, le développement du coaching est vu par d’autres comme le signe d’une évolution profonde de nos sociétés. C’est le cas de Nicolas Marquis, professeur de sociologie et de méthodologie à l’UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles. Dans le cadre d’un projet financé par Conseil européen de la recherche, lui et son équipe étudient depuis 4 ans la pratique du coaching et la manière dont elle transforme la santé mentale, la parentalité et l’enseignement.

Le coaching, une intervention sur autrui à part entière

« Nous définissons le coaching comme un mode d’intervention sur autrui. Ces interventions existent dans toutes les sociétés : on éduque, on sanctionne, on soigne, etc. », explique Nicolas Marquis, codirecteur du Centre d’anthropologie, sociologie, psychologie – études et recherches, et responsable du projet. Elles prennent la forme de rituels (règles et habitudes fixées par la tradition) qui permettent à l’individu le passage d’un statut à un autre (de l’enfant à l’adulte, par exemple).

« Ces interventions sur autrui sont souvent fondées sur une relation asymétrique, avec une personne qui a la mission sociale (et reconnue comme telle par la société) de dire à une autre ce qui est mieux pour elle. Partant du postulat que cette dernière n’est pas (encore) en mesure de décider en toute autonomie. Cette idée est toutefois de moins en moins acceptée par nos sociétés actuelles, qui valorisent l’individu et, surtout, l’idée qu’il y a en chacun de nous un potentiel “caché” qu’il nous revient de découvrir et d’exploiter pour nous réaliser. »

En misant sur le mode d’intervention qu’est le coaching, on ferait émerger ce potentiel présupposé. Il permet toujours à l’individu d’évoluer vers un autre statut, mais dans le cadre d’une relation a priori égalitaire, en accompagnant et en conseillant l’individu, sans lui dicter son comportement.

Des méthodes actuelles critiquées

« Les trois sphères sociales étudiées dans ce projet – la santé mentale, la parentalité, et l’enseignement – ont historiquement été structurées sur base de cette relation asymétrique (parent-enfant, soignant-patient, professeur-élève). Et elles ont en commun d’être aujourd’hui assez critiquées. Dans les discours des coachs actifs dans ces domaines, on retrouve souvent l’idée que l’on s’est jusqu’ici complètement trompé de méthodes », rapporte le Pr Marquis.

En vue de déterminer la place qu’occupe le coaching et les évolutions qu’il amène dans ces trois domaines, l’équipe du projet a, dans un premier temps, comparé les discours sur la pratique en Belgique francophone et en France, au Royaume-Uni et au Danemark. Les chercheurs sont ensuite allés à la rencontre des acteurs en Belgique francophone, en interrogeant des coachs et les participants aux formations, ateliers, ou autres groupes de paroles, donnés par les coachs. L’équipe a aussi réalisé des observations sur le terrain.

Une question de culture

Parmi leurs résultats, les chercheurs notent que la situation du coaching en Belgique francophone est très spécifique. « Au Danemark, l’idée d’être acteur de son éducation et de sa formation est revendiquée. Enfants et élèves sont d’emblée vus comme des partenaires dans la relation avec le parent et l’enseignement. Une relation symétrique d’intervention sur autrui n’est donc absolument pas considérée comme problématique », assure le chercheur.

Au Royaume-Uni, le coaching crée davantage de débats, car il y a la crainte d’un empiétement des « experts » sur la vie privée. En France et en Belgique francophone, enfin, le coaching est vivement discuté. « Dans cette aire géographique, on considérait – et considère encore parfois – qu’une société ne peut fonctionner qu’en “domptant” les individus, en leur inculquant des normes pour qu’ils deviennent de “bons” citoyens. Dans ce contexte, les débats autour du coaching révèlent des craintes de la disparition de la société telle qu’on la connaît. »

La marque d’une évolution sociétale

Si le coaching intervient chez nous dans un environnement social moins bien apprêté, les entretiens et observations menés lors du projet montrent néanmoins que la pratique a le vent en poupe. Et ce, dans les trois sphères étudiées. « Il est frappant de voir comment la pratique s’est rapidement institutionnalisée, particulièrement dans le domaine de l’enseignement. Dans les écoles, on voit désormais des postes de coachs s’ouvrir pour accompagner les professeurs », déclare le Pr Marquis.

Il faut dire que les idées défendues par le coaching sont difficilement critiquables dans nos sociétés libérales et individualistes actuelles. Dans la logique du coaching, bien intervenir sur autrui consiste à l’inciter à « travailler » sur lui-même, plutôt qu’à lui dicter son comportement. En clair, les solutions aux problèmes auxquels l’individu fait face seraient en lui. « Même les plus conservateurs défendent aujourd’hui l’idée d’autonomie de l’individu. C’est devenu une valeur extrêmement importante dans nos sociétés, et la force du coaching est d’embrasser ce discours-là : chacun est le mieux placé pour agir. On est ici à l’opposé de la posture institutionnelle classique. »

Le coaching transformerait donc bel et bien nos pratiques sociales. « Et si cela crée encore des tensions, les changements sont réels et d’une rapidité déconcertante », affirme le sociologue. Selon lui, l’essor du coaching serait toutefois plutôt la marque de transformations sociétales, plutôt qu’un acteur fondamental. « Ce qui est neuf, ce ne sont pas tant les idées ou le discours du coaching, que sa réception dans nos sociétés. Accompagner la personne dans un processus de changement en le laissant le plus possible aux manettes est désormais considéré comme moralement valable et plus efficace », conclut Nicolas Marquis.

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