Les animaux, des acteurs historiques à part entière

25 novembre 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

L’Histoire, étrangement, est façonnée par les actions des Hommes. Surtout celles des hommes. Les femmes ne sont, en effet, entrées que très tardivement dans l’Histoire. Qu’en est-il des animaux ? Végétaux ? Champignons ? Bactéries et virus ? Contrairement à l’humain, il a été très longtemps impensable de les considérer comme des acteurs historiques à part entière. La philosophe Pre Vinciane Despret (ULiège) s’est emparée du sujet et a fait part de son diagnostic et de ces réflexions dans une conférence donnée à la Cité Miroir, en prémisse de son livre en cours d’écriture. Elle y analyse, en particulier, les raisons expliquant pourquoi les animaux n’ont longtemps pas été considérés comme agissants, comme acteurs qui ont compté.

Temporalités très différentes

En anthropologie, on utilise les notions d’ « histoires froides » ou d’ « histoires chaudes » pour distinguer, respectivement, des sociétés qui seraient restées en dehors de l’Histoire de l’humanité ou qui auraient contribué à cette Histoire.

Parmi les raisons qui ont empêché de considérer les autres qu’humains comme acteurs historiques, l’évolution, et ses temporalités diverses selon les types d’organismes vivants, en est une première. « Pour le dire simplement, aux autres qu’humains, reviendrait l’histoire lente et froide de l’évolution, où les changements prennent la plupart du temps des millénaires, au mieux des siècles. Aux humains reviendrait une histoire chaude et agitée, dont eux seuls, ou plus précisément certains d’entre eux, sont les véritables acteurs. »

Vinciane Despret lors de sa conférence “Histoire d’animaux” à la Cité Miroir © Laetitia Theunis

Raconter autrement la théorie de l’évolution

La théorie de l’évolution de Darwin a introduit une forme d’historicité puisqu’elle insiste sur les transformations des organismes vivants, dont la plupart se font sur le temps long. Mais jusqu’à présent, la manière dont les biologistes racontent la théorie de l’évolution ne permet pas de penser les animaux comme acteurs des changements qui leur arrivent. Et donc de les faire entrer dans l’Histoire.

« Si une aile se développe chez un oiseau, même très très progressivement, il faut qu’à un moment donné, il pense à l’utiliser et la fasse fonctionner. En racontant l’histoire de cette façon, on reste dans le cadre de la théorie de l’évolution avec ses bases scientifiques, mais le discours est différent. On passe d’une description passive « l’apparition des ailes chez les oiseaux » à  « les oiseaux se sont rendu compte qu’ils pouvaient se servir d’un élément nouvellement émergé, devenu suffisamment présent et opérationnel pour être exploité ». Et cette vision fait toute la différence », explique la philosophe.

Une autre difficulté qui émerge de la théorie de l’évolution est que les animaux sont considérés comme n’obéissant qu’à des contraintes d’utilité, principalement la reproduction, et de survie. En se concentrant uniquement sur ces aspects, les biologistes ont longtemps négligé l’émergence de comportements créatifs chez les animaux. Mais cela commence à changer.

Le rôle majeur de l’épigénétique

« Ces conceptions de la biologie considèrent les animaux soit comme des mécaniques, des ressources inertes, soit mus par des déterminismes biologiques et par leurs instincts. Or, l’instinct ne fait pas vraiment un bon acteur historique. Agir par instinct signifie que c’est le programme qui s’exprime, ce qui déresponsabilise par rapport à ses actions. »

« Au XXe siècle, la théorie néodarwinienne de l’évolution, basée sur la sélection naturelle de variations aléatoires du génome, a beaucoup insisté sur le programme génétique, sur les constances et les invariants du génome. En considérant les animaux comme toujours identiques à eux-mêmes, on ne discernait pas de changements. »

« Beaucoup d’éléments du génome restent, en effet, stables et inchangés, mais l’épigénétique récemment découverte modifie ce postulat. Des gènes peuvent ou non s’exprimer suivant l’environnement, induisant des changements . Et ces changements peuvent se transmettre à la génération suivante. »

« En ce début du XXIe siècle, les nouvelles technologies vont permettre de décrire de manière beaucoup plus précise l’héritage génétique de chaque espèce. Il est devenu beaucoup plus évident que les animaux ne cessent d’évoluer, avec des modifications génétiques qui se produisent constamment, souvent en réponse aux changements environnementaux. Cela signifie qu’ils sont inscrits dans une dynamique historique. En effet, si des changements génétiques se font en réponse à des changements environnementaux, on entre alors dans le régime de l’Histoire. »

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