Succès mitigé des listes citoyennes

26 février 2019
par Daily Science
Durée de lecture : 7 min

Une équipe interuniversitaire, coordonnée par Jérémy Dodeigne, professeur en Sciences politiques à l’UNamur, Caroline Close (ULB-Charleroi), Vincent Jacquet (UCLouvain) et Geoffroy Matagne (ULiège), a analysé les dynamiques du scrutin local du 14 octobre 2018 en Wallonie et à Bruxelles.

Cette recherche soutenue par le Service Public de Wallonie (SPW) a notamment permis d’observer la multiplication des listes citoyennes. «Cependant, nous n’observons pas le foisonnement annoncé par certains médias », commente Vincent Jacquet, de l’UCLouvain.

Méfiance accrue vis-à-vis des formations politiques traditionnelles




« Le scrutin local du 14 octobre 2018 fut très attendu par les acteurs et les observateurs de la vie politique en Wallonie et à Bruxelles», notent les chercheurs. Premier scrutin organisé depuis les dernières élections de mai 2014, les élections communales et provinciales constituaient un sondage « grandeur nature » pour vérifier l’état de forme électorale des partis ».

« De ce point de vue, les résultats des élections communales confirment des mutations à l’œuvre dans les systèmes de partis wallon et bruxellois. En outre, le scrutin du 14 octobre 2018 fut organisé dans un contexte de méfiance accrue vis-à-vis des formations politiques traditionnelles : la multiplication et le succès électoral de listes dites « citoyennes »  ou de nouveaux partis suggèrent un bouleversement dans les rapports de force. Ce scrutin constitue donc un signal clair de l’électorat qui influence la campagne du triple scrutin de mai 2019 », indique l’équipe.

84 listes citoyennes en 2018



« Lorsqu’on observe la référence à la notion de citoyen, on trouvait 38 listes en Wallonie en 2012, soit un peu moins de 4 % des listes. Six ans plus tard, on en répertorie 84, soit 8 % des listes. Par ailleurs, 143 listes sont uniquement composées de candidats a-partisan, soit 14 % des listes présentes en Wallonie », détaillent les politologues.

 

Noms des listes en Wallonie.
Noms des listes en Wallonie.

 

Le succès électoral de ces listes citoyennes est, quant à lui, mitigé d’un point de vue global, avec un score moyen inférieur par rapport aux autres listes. 

Les listes citoyennes, à la fois par le nom et par la composition a-partisane, se trouvent davantage dans des communes rurales et mixtes. Aucune, en fait, n’est observée dans une commune urbaine. « Sur les 84 listes adoptant le label citoyen, 14 sont d’aujourd’hui présentes dans une majorité communale. Huit l’étaient déjà en 2012. Dix  listes obtiennent un bourgmestre », indiquent les chercheurs.

Quatre tendances complémentaires

Quatre autres tendances sont mises en avant par cette analyse interuniversitaire: le scrutin communal est de plus en plus local, l’effet limité de la réforme de l’effet dévolutif de la case de tête, le nombre de femmes bourgmestres en Wallonie et la proportion de majorité absolue dans les communes.

Le scrutin communal est de plus en plus local

En Wallonie, on observe une diminution nette du nombre de « listes nationales », et une augmentation forte du nombre de listes locales (+ 15.5 points de pourcentage, soit une augmentation de 175 %). Les chercheurs constatent également une diminution du succès électoral des listes nationales (de 60 % des voix en 2012 à 46 % en 2018), au profit principalement des listes locales, qui passent de 10 % à 24 % des voix.

Par ailleurs, les listes locales sont davantage présentes dans les provinces du Luxembourg et de Namur, les listes nationales et quasi nationales sont proportionnellement plus nombreuses dans les communes de la région bruxelloise et du Hainaut.

Un effet limité de la réforme de l’effet dévolutif de la case de tête



Si les effets de la réforme sont perceptibles, ils n’en restent pas moins limités : 43,2 % candidats furent élus en dehors de l’ordre de la liste en 2012 (dont 73 % d’hommes) et 48,7 % en 2018 (dont 68 % de femmes).  « Si la réforme a pour avantage de renforcer le rôle de l’électeur dans la détermination des candidats décrochant un mandat, elle est de nature à favoriser – de manière excessive – la compétition entre candidats d’une même liste. Cette course aux voix de préférence peut renforcer le phénomène de « personnalisation de la vie politique » – et ses dérives – au détriment de la logique de cohésion d’un projet politique », estiment les chercheurs.

Par ailleurs, la recherche montre qu’un électeur sur cinq (22 %) exprime un vote pour la case de tête et/ou des voix de préférence pour des candidats ; mais seule une infime proportion d’électeurs ne votent qu’en case de tête (moins de 0,055 %).

Des variations importantes existent entre les partis. Alors que les électeurs à la gauche du système de partis optent plus fréquemment pour valider la case de tête (PTB 41,4 %, PS 23,5 % et Ecolo 23,6 %), ils sont moins nombreux parmi les électeurs du cdH (16,0 %) et du MR (18,9 %).

18,6 % des bourgmestres de Wallonie sont des femmes




La Région wallonne a pris une série d’initiatives fortes en matière de parité hommes-femmes, à savoir le principe de la tirette pour l’ensemble des candidats de la liste et la règle d’un tiers de membres de chaque sexe au sein du collège communal. Ces mesures ont eu un effet clair et ont atteint leurs objectifs : 48,5 % des candidats sont des femmes et 38 % des échevins sont des femmes.

«Malgré cela, une fonction communale demeure largement un bastion masculin : celle de bourgmestre. Seuls 18,6 % des bourgmestres de Wallonie sont des femmes », révèlent les chercheurs. « Il y a un peu plus de femmes bourgmestres dans les communes urbaines, surtout de taille moyenne. Il y a de nettes différences entre partis, avec une proportion de femmes bourgmestres près de trois fois supérieure au MR et chez Ecolo par rapport au PS et au CDH ».

Une majorité absolue dans 6 communes sur 10



Une fois les votes comptés et les sièges attribués, c’est la question clé de la composition des majorités et des coalitions éventuelles qui se pose. Quelles sont les leçons principales du scrutin d’octobre dernier ?

Dans 60 % des communes analysées, une seule liste forme la majorité (163 communes). Dans 40 % des cas, la majorité comporte plusieurs partenaires (109 communes). 

En moyenne, à Bruxelles et en Wallonie, les majorités comportent 1.52 partenaires. Plus la commune est urbanisée, plus le nombre de partenaires augmente. Une tendance similaire apparaît lorsque l’on considère la densité de population : le nombre de partenaires est corrélé à la densité de population.

Les listes PS sont le plus souvent le premier partenaire d’une coalition (30 occurrences). Elles sont suivies des listes locales, puis du MR (15), du cdH (7) et d’Ecolo (4). En deuxième partenaire, ce sont les listes locales (26 occurrences), suivies des listes Ecolo (22) puis MR (20) qui contribuent le plus à constituer une coalition.

Méthodologie  et rapports de force

Méthodologiquement, l’objectif de ce projet était d’offrir une méthode de mesure appropriée du type de listes en Wallonie et à Bruxelles. À l’aide d’une interview avec la tête de liste, une série d’informations ont été collectées afin de déterminer la parenté entre la liste communale et les partis politiques régionaux.

La base de données couvre le nom de la liste, sa tendance politique, le nombre de membres avec une carte de partis, la présence de candidats d’ouverture, la présence de candidats occupant une fonction législative ou exécutive au niveau régional ou fédéral, les membres d’une alliance, la présence de la liste en 2012, etc. Plus de 50 variables sont encodées pour chacune des 1.043 listes de Wallonie et des 152 de Bruxelles.

Cette analyse fine permet aux chercheurs de porter un regard nouveau sur les résultats du 14 octobre 2018. « Ainsi, si nous utilisons les informations officielles (numéro de liste pour les partis régionaux sur l’ensemble de la Wallonie), le rapport de force en Wallonie est le suivant : PS (30,6 %), Listes locales (25,9 %), MR (24,1 %), cdH (18,7 %), Ecolo (15,0 %), PTB (12,7 %), Défi (6,3 %) et PP (4,2 %). « Sur base de notre analyse, le rapport de force est substantiellement autre : Alliances (38,0 %), PS (29,7 %), MR (28,4 %), cdH (23,7 %), Listes locales (22,1 %), Ecolo (15,0 %), PTB (12,7 %), Défi (6,3 %), PP (4,2 %) », précisent-ils.

Haut depage