Le cerveau est une cible des perturbateurs endocriniens

26 avril 2021
par Camille Stassart
Durée de lecture : 4 min

Depuis que l’on a découvert l’effet des perturbateurs endocriniens (PE) sur le système reproducteur, les scientifiques se sont beaucoup concentrés sur l’étude des cibles typiques des hormones, telles que les seins, les ovaires et les testicules. Mais un autre organe est également impacté par ces agents chimiques : le cerveau.

« Il renferme une grande quantité de récepteurs aux stéroïdes sexuels, et est donc extrêmement sensible à ces substances », indique la Dre Anne-Simone Parent, endocrinologue pédiatrique au CHU de Liège, et chercheuse au laboratoire de Neuroendocrinologie du Giga Neuroscience. « Les perturbateurs endocriniens peuvent notamment entraîner un développement cérébral altéré, une puberté tardive ou précoce, ainsi qu’une fertilité altérée. »

Dans un article récent, la scientifique et ses collègues ont fait le bilan de l’état de la recherche sur ce sujet, encore peu exploré.

Le développement du cerveau in utero, une étape clé pour la reproduction

La publication réunit les résultats d’une série d’études menées chez des rongeurs concernant les effets des PE. Et, plus particulièrement, sur les conséquences d’une exposition précoce sur le contrôle neuronal de libération des « Gonadotrophin Releasing Hormone » (GnRH).

En résumé, les GnRH sont des neurohormones produites par des neurones de l’hypothalamus situé à la base du cerveau. Leur libération stimule la sécrétion d’autres hormones, impliquées dans le déclenchement de la puberté, et la régulation de la fonction de reproduction. « Les GnRH s’activent chez l’humain dès la 2e partie de la gestation, ainsi que dans les premières semaines de vie. Ces neurohormones deviennent ensuite silencieuses pendant des années, jusqu’à la puberté », rappelle la Pre Parent.

« Cette période périnatale est particulièrement importante puisque s’y met en place le contrôle du système reproducteur, l’établissement des différences sexuelles au sein de l’hypothalamus, et du développement des organes sexuels », précise-t-elle. « Or, plusieurs recherches que nous citons dans la publication soutiennent l’idée que l’exposition aux perturbateurs endocriniens durant cette étape clé du développement peut perturber les réseaux de neurones dans l’hypothalamus qui coordonnent l’activité des GnRH .»

En clair, s’il y a un problème en termes de puberté ou de fertilité, il peut être dû à l’effet de ces substances sur le sein, l’ovaire ou le testicule, mais aussi à son impact sur le contrôle hypothalamique.

Le bisphénol A en ligne de mire

Les études analysées dans cette revue de la littérature s’intéressent aux effets d’une dizaine de PE différents, notamment des pesticides. Une majorité vise néanmoins le bisphénol A (BPA), une substance chimique utilisée pour la fabrication de plastiques et de résines.

Parmi les recherches citées, on retrouve celle menée par la Pre Parent et son équipe en 2019. Ils ont comparé les effets sur les rongeurs d’une exposition néonatale versus adulte au BPA, à une dose très faible (25 ng/kg/jour) ou élevée (ou 5 mg/kg/jour), pendant deux semaines.

« On a constaté qu’une exposition néonatale de BPA à dose élevée avançait la maturation du système GnRH des petits. Leur puberté était donc plus précoce. À dose faible, c’est-à-dire celle à laquelle nous sommes exposés dans la vie de tous les jours, la puberté était en revanche retardée, et provoquait des problèmes d’ovulation. Chez les adultes femelles, l’exposition aux deux doses a conduit à la perturbation du cycle menstruel, allant jusqu’à l’arrêt de l’ovulation », informe la chercheuse.

En Belgique, bien que l’utilisation du BPA soit interdite depuis plusieurs années pour la fabrication de produits destinés aux enfants de moins de 3 ans, on le retrouve dans de nombreux autres contenants alimentaires : les bouteilles réutilisables, la vaisselle en plastiques, les boites de conservation, les canettes… « Il est dès lors très difficile d’éviter d’y exposer les femmes enceintes ou allaitantes. Selon les dernières données, on retrouve cette substance chimique dans le sang de 97% de la population belge », souligne encore la neuroendocrinologue.

Des cocktails nuisibles pour l’avenir

Au-delà de confirmer que les PE interfèrent dans l’organisation cellulaire de l’hypothalamus au début du développement, altérant ainsi le bon fonctionnement du système reproducteur, les auteurs et autrices insistent aussi sur l’intérêt d’étudier les effets de mélanges complexes à faible dose, et leurs conséquences sur les générations futures.

« Assez peu d’études se penchent sur « l’effet cocktail » des perturbateurs endocriniens sur l’hypothalamus », confirme la Pre Parent, qui vient d’achever une étude sur le sujet. « Nous avons exposé des rongeurs, par voie orale, à un mélange de 13 composés, à des doses cohérentes par rapport à ce à quoi l’humain est exposé dans l’environnement. Les femelles y ont été exposées deux semaines avant leur gestation, puis pendant leur gestation et la lactation. »

Résultats ? Des effets sur la puberté de leurs descendants ont été observés. Et, plus étonnamment, ces anomalies ont été notées jusqu’à la 4e génération de rongeurs. « Il y a donc un réel effet sur la durée », conclut la Dre Parent.

 

Haut depage