Vue générale de la salle dans la grotte de Bruniquel (France). Prise de mesures pour l’étude archéo-magnétique. © Etienne FABRE - SSAC
Vue générale de la salle dans la grotte de Bruniquel. Prise de mesures pour l’étude archéo-magnétique. © Etienne FABRE - SSAC

140.000 ans avant l’Homme moderne, Neandertal bricolait déjà des cabanes dans les grottes

26 mai 2016
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 2 minutes

Les géologues Sophie Verheyden (Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique) et Serge Delaby (Université de Mons), avec leur collègue le Pr Jacques Jaubert, archéologue préhistorien de l’Université de Bordeaux, viennent de dater une série de stalagmites agencées en forme de cercles dans une grotte française. Leur étude montre que ces aménagements humains sont âgés de 176.500 ans, soit quasi 140 millénaires avant l’arrivée de l’Homme moderne dans nos régions!

 

Jusqu’à présent, les signes formels les plus anciens d’une occupation souterraine par l’Homme ne remontaient « qu’à » 38.000 ans. C’est la grotte Chauvet (France), qui nous en donnait la preuve. « Cette fois, ce ne sont pas des traces ou des gravures dues à l’Homme moderne que nous avons pu dater avec une grande précision, mais bien des aménagements réalisés sans aucun doute possible par l’homme de Neandertal », explique Sophie Verheyden. Cet exceptionnel trésor archéologique se situe dans la grotte de Bruniquel. Une grotte qui surplombe la vallée de l’Aveyron, dans le département du Tarn-et-Garonne.

 

Restitution 3D des structures de la grotte de Bruniquel après la suppression des repousses stalagmitique récentes. Il ne s'agit donc pas d'une vue de la structure telle qu'elle se présente aujourd'hui. Les 400 fragments de stalagmites de ces structures circulaires totalisent 112 mètres cumulés et un poids estimé à 2,2 tonnes de matériaux déplacés. Ce modèle 3D est construit à partir d'une série de photographies réalisées par Pascal Mora. (Cliquer pour agrandir)
Restitution 3D des structures de la grotte de Bruniquel après la suppression des repousses stalagmitique récentes. Il ne s’agit donc pas d’une vue de la structure telle qu’elle se présente aujourd’hui. Les 400 fragments de stalagmites de ces structures circulaires totalisent 112 mètres cumulés et un poids estimé à 2,2 tonnes de matériaux déplacés. Ce modèle 3D est construit à partir d’une série de photographies réalisées par Pascal Mora. (Cliquer pour agrandir)

 

Une saga qui démarre en 1990

 

Alors qu’on pensait jusqu’à présent que l’homme préhistorique ne s’avançait guère dans les profondeurs des grottes, les cercles de stalagmites cassées et entassées en cercle découverts à Bruquinel se situent à plus de 330 mètres de l’entrée. « Nous sommes ici en présence des constructions les plus anciennes de l’histoire de l’humanité », estiment les chercheurs.

 

La grotte de Bruniquel a été découverte en février 1990. L’équipe de spéléologues de l’époque y avait déjà relevé la présence de ces structures circulaires composées d’environ 400 stalagmites.

 


Néandertal à Bruniquel par CNRS
 

En 1995, une première datation au carbone 14, réalisée sur un os brûlé retrouvé à proximité de ces structures, faisait remonter l’occupation préhistorique à moins 47.600 ans. « Mais nous étions à la limite temporelle que cette technique de datation permet », souligne Sophie Verheyden, qui a relancé l’exploration scientifique du site en 2013.

 

Outre le relevé 3D des structures de stalagmites et l’inventaire des éléments constituant les structures en question, les chercheurs ont également étudié les traces de foyers retrouvés dans la cavité naturelle.

 
Carbone 14 et uranium-thorium

 

La nouvelle étude a permis de révéler que les feux allumés dans la grotte n’avaient servi que de point d’éclairage.

 

La géologue belge, dont la spécialité est la datation des stalagmites, a alors entrepris de dater les fameuses structures circulaires.

 

Les chercheurs ont utilisé une méthode de datation appelée uranium-thorium (U-Th), basée sur les propriétés radioactives de l’uranium, omniprésent en faible quantité dans l’environnement.

 
Au moment de la formation des stalagmites, l’uranium est incorporé dans la calcite qui forme la concrétion. Au fil du temps, l’uranium se désintègre en d’autres éléments, dont le thorium (Th). Il suffit donc de doser, dans la calcite de la stalagmite, le thorium produit et l’uranium restant pour en connaître l’âge. C’est un premier élément d’information.

 
Pour construire ces structures, il a été nécessaire de fragmenter les stalagmites et de les transporter. Une fois abandonnées, de nouvelles couches de calcite, comprenant aussi des repousses de stalagmites, se sont développées sur celles déplacées et édifiées par l’Homme.

 

Une marge d’erreur de 2000 ans à peine

 

En datant la fin de croissance des stalagmites utilisées dans les constructions et le début des repousses scellant ces mêmes constructions, les chercheurs sont parvenus à estimer l’âge de ces agencements, soit 176 500 ans. « Avec une marge d’erreur de 2000 ans environ », souligne la géologue. « Soit un excellent résultat »!

 

Le doute n’est donc plus permis. Neandertal a bel et bien occupé cette grotte. Et c’est bien lui, alors seul occupant de nos régions (l’arrivée de l’Homme moderne en Europe remonte à – 40.000 ans) qui a construit ces étranges structures circulaires.

 

Mais dans quel but les premiers Neandertal (les fossiles de Néandertaliens ont des âges compris entre – 250 000 à – 40 000 ans) ont-ils construit ces structures? « C’est le mystère qui nous reste à éclaircir », conclut la géologue Sophie Verheyden.

 
 

Une découverte majeure

 
L’existence même de ces structures souterraines aussi âgées est étonnante. « Il faut en effet attendre le début du Paléolithique récent (De – 45.000 à -12.000 ans) en Europe, et ponctuellement en Asie du Sud-Est ou en Australie pour noter les premières incursions pérennes de l’Homme dans le milieu souterrain, au-delà de la lumière du jour », indique le CNRS, en France.

 

« Ce sont presque toujours des dessins, des gravures, des peintures, comme dans les grottes de Chauvet (- 36 000 ans), de Lascaux (- 22 000 à – 20 000 ans), d’Altamira en Espagne ou encore de Niaux (- 18 000 à -15 000 ans pour les deux sites) et, exceptionnellement, des sépultures (grotte de Cussac, Dordogne : – 28 500 ans) ».

 
« Or, à Bruniquel, l’âge des structures de stalagmites est bien antérieur à l’arrivée de l’Homme moderne en Europe (- 40 000 ans). Les auteurs de ces structures seraient donc les premiers hommes de Néandertal, pour lesquels la communauté scientifique ne supposait aucune appropriation de l’espace souterrain, ni une maîtrise aussi perfectionnée de l’éclairage et du feu, et guère plus des constructions aussi élaborées ».

 

Les premiers représentants européens de Néandertal se seraient donc approprié les grottes profondes, y construisant des structures complexes, y apportant et entretenant des feux.

 

Ces structures intriguent beaucoup les chercheurs à cause de leur distance par rapport à l’entrée actuelle et supposée de la grotte à l’époque.

 

Ils s’interrogent quant à la fonction de tels aménagements, si loin de la lumière du jour. Si l’on écarte l’hypothèse peu viable d’un refuge, les structures étant trop loin de l’entrée. « Etait-ce pour trouver des matériaux dont l’usage ou la fonction nous échappe ? S’agissait-il de raisons «techniques » comme le stockage de l’eau par exemple ? Ou de lieux de célébration d’un rite ou d’un culte ? », s’interroge le CNRS.

 

D’une manière plus générale, les chercheurs constatent le haut degré d’organisation sociale des Néandertaliens nécessaire à une telle construction. Les recherches à venir tenteront donc d’apporter des explications sur la fonction de ces structures, principale question non résolue à ce jour.

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