Premier Conseil de physique Solvay, 1911, Hôtel Métropole, Bruxelles. Ernest Solvay est assis en bout de table. A droite: Albert Einstein. © D.R.

La saga des Conseils Solvay racontée par l’arrière-arrière-petite-fille du célèbre industriel

26 mai 2020
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

L’an prochain, cela fera exactement 110 ans que les « Conseils Solvay » ont vu le jour. Ces réunions scientifiques, organisées à Bruxelles à l’initiative de l’industriel Ernest Solvay, ont joué un rôle indéniable dans l’histoire de la physique moderne. Particulièrement en physique quantique. La photo officielle de la première réunion, celle de 1911, est devenue mythique. On y découvre, autour d’une table de réunion de l’hôtel Métropole, à Bruxelles, un ensemble de cerveaux aussi prestigieux que célèbres, comme Marie Curie ou Albert Einstein.

« Fantaisies Quantiques », par Catherine D’Oultremont et Marina Solvay, Editions Saint-Simon, 21,50 euros
« Fantaisies Quantiques », par Catherine D’Oultremont et Marina Solvay, Editions Saint-Simon, VP 21,50 euros

Le cinquième enfant

« La Science, c’était la passion d’Ernest Solvay », précise Marina Solvay, l’arrière-arrière-petite-fille de l’industriel. «À tel point qu’il parlait de la Science, des Conseils de physique et de chimie Solvay, gérés par des instituts dédiés qu’il avait créés au cours des onze dernières années de sa vie, comme étant son cinquième enfant », détaille Mme Solvay, qui vient de signer l’ouvrage « Fantaisies quantiques », aux Editions Saint-Simon, avec comme coauteure Catherine D’Oultremont.

« Juste avant sa mort, en 1922, Ernest Solvay a réuni toute sa famille et lui a demandé de veiller sur ce cinquième enfant, afin qu’il puisse survivre au moins pendant 50 ans après son propre décès. Mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père ont tous veillé au bien-être de ce cinquième enfant. Nous sommes aujourd’hui 100 ans plus tard, et les Instituts et les Conseils sont toujours là. L’œuvre de mécénat d’Ernest Solvay a été perpétuée », dit encore Marina Solvay.

Un roman solidement documenté

« Fantaisies quantiques » retrace l’histoire de ces réunions scientifiques jusqu’en 1958. Le livre se lit comme un roman. L’ouvrage distille de multiples détails sur la vie de l’industriel, y compris certaines anecdotes familiales. Il livre aussi de nombreux éléments biographiques, parfois romancés, des savants qui ont « fait » les Conseils Solvay. La célèbre liaison entre Marie Curie et le physicien Paul Langevin, qui aimait recevoir dans sa garçonnière, y est mentionnée. Les tensions entre Albert Einstein et sa première épouse, Mileva Maric, y sont également rapportées.

Les deux auteures, qui ont eu accès à de nombreuses archives en Belgique comme à Paris, ont également rencontré, en 2014, les descendants des premiers participants du Conseil de 1911. « Il y avait des descendants des Rutherford, d’Einstein. Nous avons aussi eu l’occasion de parler aux Joliot-Curie. Nombreux ont été les participants à cette rencontre qui nous ont livré des anecdotes, des histoires familiales liées au premier Conseil. C’est notamment comme cela que nous avons pu faire vivre ces personnages dans notre livre », explique Mme Solvay.

La théorie « gravito-matérialitique » d’Ernest Solvay

Ernest Solvay était présent à l’ouverture du premier Conseil, pour y accueillir les participants et y prononcer plusieurs discours.

C’est à cette occasion, et après avoir remercié les savants qui avaient répondu positivement à son invitation, qu’Ernest Solvay leur glissa un mot sur sa propre théorie « gravito-matérialitique. « Il ne l’a pas réellement « présentée » »,  précise Marina Solvay. « Il a distribué à chaque participant un résumé de sa théorie en l’introduisant oralement par la citation ci-dessous et en espérant qu’après le Conseil, il en aurait des échos ».

La théorie d’Ernest Solvay, qu’il mûrissait  depuis 1877, n’y fut cependant pas débattue. Elle portait sur la matière et ses aspects énergétiques, « en relation avec la gravitation », précise le livre. « M. Solvay a été préoccupé de tout temps par le problème de la constitution de la matière. Sa gravito-matérialitique implique une variation d’énergie non d’une façon continue, mais par sauts et degrés », rapportait en 1911 un de ses collaborateurs, Edouard Herzen. L’industriel proposa à la fin du premier Conseil de physique d’organiser un deuxième Conseil deux ans plus tard. Une proposition qui fut accueillie avec enthousiasme.

Un type de réunion toujours d’actualité

En 2021, Bruxelles devrait accueillir le 28e Conseil de Physique Solvay. Mais qu’est-ce qui explique le succès d’un tel « format » de réunion, qui mobilise les participants quasi reclus en un même lieu pendant plusieurs jours?

« Les scientifiques que j’ai interviewés longuement dans le cadre d’un petit livre complémentaire d’entretiens me font tous la même réponse à cette question », explique Marina Solvay. « Les Conseils restent pertinents, particulièrement en ce qui concerne la physique théorique, parce que les scientifiques ont vraiment besoin de se réunir et de discuter des idées nouvelles qui sont lancées et de les étudier ensemble. Quand on participe à un Conseil Solvay, on s’engage à laisser ses outils de communication modernes en mode silencieux. On n’est pas interrompu par des e-mails, par des SMS, par des appels téléphoniques. On peut se concentrer entièrement sur les discussions du moment. Isolés ainsi pendant trois jours, cela débouche sur un travail intensif unique en son genre.  Tout cela explique la pertinence et la richesse de ce genre de réunions ».

 

 

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