Et si l’on pouvait prévenir le mécanisme de mort cellulaire impliqué dans certaines neuropathologies ? C’est le pari relevé par des chercheurs de l’UCLouvain et de l’Université de Lille. Ils ont mis au point un nouveau composé capable de protéger les cellules de la ferroptose, un type de mort cellulaire identifié il y a une dizaine d’années et associé à la maladie d’Alzheimer et de Parkinson.
La découverte a été réalisée dans le cadre du doctorat de Darius Mazhari Dorooee, chercheur Télévie depuis 2021 au sein du groupe de chimie médicinale du Louvain Drug Research Institute, qui a aussi bénéficié d’un financement « PDR » du FNRS. Cette avancée ouvre des perspectives concrètes pour concevoir de nouveaux traitements contre les maladies neurodégénératives. Et pourrait aussi aider à mieux comprendre et cibler certains cancers agressifs.
Quand les membranes cellulaires « rouillent »
Pour fonctionner correctement, les cellules de l’organisme ont besoin de lipides. Ces substances leur servent, notamment, à construire leurs membranes. Dans ce processus, la famille des protéines ACSL (acyl-coenzyme A synthétase à longue chaîne) joue un rôle clé et compte plusieurs membres : ACSL1, 3, 4, 5 et 6.
« ACSL4, en particulier, favorise l’incorporation d’acides gras polyinsaturés dans les membranes cellulaires », précise Darius Mazhari Dorooee, premier auteur de l’étude. Le hic ? Dans les cellules où l’équilibre entre le fer et les défenses antioxydantes est rompu, l’apport de lipides polyinsaturés fait plus de mal que de bien, rendant les membranes davantage vulnérables à la ferroptose.
Cette forme singulière de mort cellulaire implique une accumulation de radicaux libres, « qui conduit à la déstabilisation des membranes de la cellule et à la perte de leur intégrité. Les cellules deviennent poreuses et finissent par mourir.»
Mieux cerner ACSL4….
Ce phénomène paraît être un moteur important de la dégénérescence neuronale observée dans les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Dans les deux cas, le cerveau subit, en effet, une surcharge en fer combinée à un stress oxydatif chronique.
L’influence d’ACSL4 dans la ferroptose étant établie, la solution paraît simple. Du moins sur le papier. « La littérature a démontré qu’inhiber cette enzyme permet d’obtenir des membranes cellulaires moins riches en acides gras polyinsaturés, donc moins oxydables et plus résistantes à la ferroptose », fait savoir le doctorant. Cependant, la recherche s’est jusqu’ici heurtée à une connaissance encore limitée d’ACSL4. De plus, une seule molécule, la rosiglitazone, est connue pour la bloquer efficacement. Mais elle présente des effets secondaires importants.
« Une grande partie de nos recherches dans ce projet a consisté à générer des connaissances fondamentales sur la structure de cette enzyme. Un travail qui a été réalisé en étroite collaboration avec l’Université de Lille », indique Raphaël Frederick, doyen de la faculté de pharmacie et des sciences biomédicales à l’UCLouvain, professeur au groupe de recherche en chimie médicinale, et co-promoteur de la thèse de Darius Mazhari Dorooee.
…pour mieux la bloquer
Les partenaires ont, par la suite, utilisé des dérivés de la rosiglitazone afin de mieux comprendre comment ceux-ci parvenaient à inhiber ACSL4. Ils ont finalement tiré parti de leurs découvertes pour concevoir un dérivé dénué des effets indésirables de la molécule d’origine. Ce nouveau composé, baptisé LIBX-A401 – pour Lille-Bruxelles A(CSL)4, la première du nom – a d’ores et déjà fait ses preuves lors d’essais en laboratoire.
« Nos résultats montrent que LIBX-A401 cible bien ACSL4 dans les cellules testées, protégeant ainsi efficacement contre la ferroptose. Notre dérivé fait même mieux que le médicament existant », assure Darius Mazhari Dorooee. « LIBX-A401 reste cependant un “premier jet” expérimental, et ouvre avant tout la voie au développement d’autres composés plus puissants et efficaces, en vue de se rapprocher d’un véritable traitement. »
Le cancer en nouvelle ligne de mire
Les outils pharmacologiques imaginés dans le cadre de cette étude pourront également servir à mieux comprendre l’implication d’ACSL4 dans le cancer. De fait, des études récentes suggèrent qu’elle agit de manière critique dans la progression des tumeurs et des métastases dans les cancers du foie, du sein triple négatif, de l’ovaire, et de la prostate.
Comme mentionné plus haut, cette protéine facilite l’incorporation des acides gras polyinsaturés aux membranes des cellules, ce qui peut influencer leur fluidité et donc le potentiel de prolifération des cellules tumorales. « La recherche postule que ACSL4 favorise indirectement la mobilité des cellules cancéreuses et augmente le risque qu’elles s’échappent de l’environnement tumoral. Une fois dans le sang, ces cellules peuvent former des métastases, c’est-à-dire de nouvelles tumeurs ailleurs dans le corps », développe le doctorant.
Au-delà de l’effet de LIBX-A401 sur la neuro-ferroptose, le composé pourrait donc présenter un intérêt en oncologie. « Nous avons l’intention d’explorer cette idée, à nouveau en partenariat avec l’Université de Lille, dans d’autres projets futurs », confirme le Pr Frederick.